Le silence Don De Lillo
Quand la machine s’arrête
Au début de The Silence, nous rencontrons un homme et une femme sur un vol Paris-Newark. L’homme est Jim, la femme est « la femme de Jim, à la peau foncée, Tessa Berens, d’origine caribéenne-européenne-asiatique, un poète dont l’œuvre est souvent parue dans des revues littéraires ».
Jim et Tessa semblent un peu étranges. Il récite le « time to destination » qu’il voit sur son petit écran, tandis qu’elle discute de la façon de prononcer le mot « scone ». Jim dit les chiffres à haute voix parce qu’ils « valent la peine d’être notés », il veut leur permettre de « vivre un certain temps », pour donner « un balayage audible du où et quand ». Il y a, dans l’attention de Jim, une suggestion de sympathie pour la machine qui fait ce travail de remarque au nom des voyageurs, car la précision est une forme de fidélité, et l’écran est fidèle à des faits trop gros pour être oubliés. Ces personnes se précipitent autour de la planète, une expérience qui est pour eux si ennuyeuse qu’elle a une amnésie intégrée. Puis l’écran meurt, l’avion vibre et vous pensez que plus personne ne s’ennuiera.
Le Silence fait un peu plus d’une centaine de pages, ce n’est donc pas un roman aussi vaste qu’Underworld, et pas aussi drôle que White Noise. Bon nombre des mêmes thèmes reviennent sous une forme épurée, le roman éclairant l’œuvre précédente d’un faisceau intense et étroit. La masculinité sportive, les éducateurs, les autres langages, les systèmes, les paranoïas, ce dont on se souvient et ce qui est oublié, l’esprit de masse ; ceux-ci sont présentés, non pas dans un fritz d’interconnectivité mais comme mimétisme, vide et, finalement, silence.
Personne ne parle comme le font les personnages de ce roman, et on ne nous demande pas non plus de croire qu’ils le feraient. Ils sont, cependant, convaincants et humains, et leurs voix ont une urgence ritualisée. DeLillo est un maître styliste, et pas un mot ne se perd. C’est le roman comme art de la performance, comme jeu expressionniste. The Silence, c’est comme regarder Melancholia de Lars von Trier ou un opéra de Philip Glass – on se sent toujours « étranger ». Il y a aussi quelque chose du milieu des années 80 distillé et transporté ici : quelque chose de ravi et de mâle, plein de nostalgie pour la machine et pour la fin des jours.