jeans mon enfance, ma famille vivait dans une commune de 20 maisons jaunes identiques à la périphérie de Copenhague. On dînait six jours par semaine à la « maison commune ». Les voisins partageaient également les tâches d’entretien, préparaient des collations après l’école, tenaient un magasin sans commerçant et célébraient la plupart des vacances ensemble. Nous étions les seuls non-Danois de la commune, et notre arrivée fut à la fois excitante et déconcertante pour le groupe. Nous étions trop bruyants, notre maison était trop éclairée, nous avions de la famille et des amis venus de Turquie pendant des mois. Mais nous étions aussi les cuisiniers les plus appréciés de la commune, dépensant de notre poche, au-delà des budgets du dîner, pour faire du rôti d’agneau et des feuilletés à la feta. La commune était une expérience de vivre ensemble, d’égal à égal, même si pour moi, c’était aussi une éducation dans toutes nos différences.
Je suis fasciné par les vies qui se déroulent à proximité. Ce qui m’amène à contempler la vie comme un modèle de fiction, c’est le croisement de l’intimité et de la distance, la manière dont les vies interagissent, s’emmêlent ou se croisent. Les voisins offrent un point de vue unique dans la fiction, car ils sont témoins d’une grande partie de la vie à la surface mais peuvent être aveugles aux profondeurs. L’amitié des voisins m’intéresse aussi : les voisins doivent maintenir un délicat équilibre de courtoisie pour tout le vivre ensemble qui les attend.
Dans mon roman Blanc sur blanc, la peintre Agnès commence à raconter des morceaux de sa vie à l’étudiante en histoire de l’art qui loue l’appartement en dessous de son atelier. Au début, l’étudiant est fasciné par Agnès et avide de son amitié, mais à mesure qu’Agnès devient déséquilibrée, l’étudiant choisit l’anonymat d’être un voisin, choisissant d’éviter la responsabilité émotionnelle.
Les livres suivants enquêtent sur des vies proches, à la fois familières et lointaines.
1. La montagne magique par Thomas MannTraduit par Jean E les bois
Hans Castorp arrive dans un sanatorium pour rendre visite à son cousin et finit par y rester très longtemps. C’est un livre sur le temps et sur la mort, mais il est raconté à travers les interactions avec les patients du sanatorium lors de dîners et de déjeuners de conversation. Tout le monde est malade, et comme des voisins bien élevés, tout le monde évite le sujet. Mais le destin commun des habitants crée un lien tacite et une toile de fond puissante pour le roman.
2. Une maison en Norvège par Vigdis HjorthTraduit par Charlotte Barslund
Alma, une artiste tapissière, loue l’annexe de sa maison à une famille polonaise, dont elle assiste depuis sa propre fenêtre pendant six ans. La prémisse du roman met les vues libérales de l’artiste dans une pratique difficile. Alma a toujours été fière de ses valeurs progressistes, mais découvre, dès que la famille polonaise emménage, qu’elle n’est pas aussi tolérante qu’elle le pensait. C’est un livre brillant sur l’immigration, ce que signifie vivre ensemble et les idéaux fragiles du projet européen.
3. Rascasse de Natalie Bakopoulos
Ce roman atmosphérique incarne la distance intime d’être un voisin. Mira retourne à Athènes après la mort de ses parents et, lors de sa première nuit, rencontre un capitaine qui vit dans l’appartement en face du sien. Tous deux pleurent de différentes manières et ils forment une amitié inhabituelle, échangeant des histoires nocturnes à travers leurs balcons. Les promenades de Mira dans la ville, ses dîners et verres entre amis et ses après-midi de baignade sont rythmés par le retour nocturne à la maison, sur le balcon, pour se confier à un quasi-inconnu.
4. Mon coeur encerclé par Marie NDiaye, traduit par Jordan Stump
Nadia et Ange sont des institutrices qui se sont construit une vie respectable et bourgeoise. Un jour, une étrange blessure apparaît sur le ventre d’Ange. Alors que toute la communauté fuit peu à peu les enseignants, un voisin, Nogent, qu’ils avaient toujours dédaigné, vient les aider dans leur état de fragilité et s’installe pour les soigner. Marie NDiaye est passée maître dans l’art de créer des mondes menaçants et décalés qui parlent de la vérité de l’expérience humaine.
5. Amis et formes sombres par Kavita Bedford
Ce livre, sur un groupe de colocataires à Sydney, cartographie magnifiquement les espaces de solitude et d’intimité au milieu de la gentrification, du travail temporaire, du chagrin personnel et de la joie collective. L’un des plaisirs du roman de Bedford est de suivre les colocataires dans leurs routines quotidiennes, d’aller aux ouvertures de galeries pour des boissons gratuites, de traîner sans but dans le jardin, de discuter des meilleures façons de s’approvisionner en papier toilette et d’aller dans les piscines océaniques.
6. Poignée de singe par Hélène Garnier
« Dans la vieille maison brune du coin, à un mile du centre-ville, nous mangions du bacon au petit-déjeuner tous les matins de notre vie. Il n’y avait jamais assez de chaises pour que nous puissions tous nous asseoir à la table des repas. Ainsi commence Monkey Grip, un autre roman sur la vie communautaire, cette fois dans les années 1970 à Melbourne. Nora est une mère célibataire et amoureuse de Javo, accro à la claque. Elle change de maison et de partenaire, dans de nouvelles reconfigurations explorant ce que signifie vivre ensemble. Le style lâche et diaristique du roman capture parfaitement la fluidité des amitiés, de l’amour, du sexe et de la cohabitation.
7. Par la mer par Abdulrazak Gurnah
Un après-midi, Saleh Omar arrive à l’aéroport de Gatwick en provenance de Zanzibar, demandant l’asile. Il est emmené dans un B&B où logent d’autres hommes, du Kosovo et de la République tchèque. Bien qu’ils partagent le même logement étrange, ils connaissent peu les histoires qui les ont amenés ici. La seule personne en Angleterre qui connaît Omar est le fils de l’homme dont Omar a pris le nom, autrefois voisin à Zanzibar. Lorsque les deux se rencontrent, une histoire du passé se révèle, à la fois intime et mystérieuse, les destins des hommes profondément enchevêtrés.
8. Les emprunteurs par Marie Norton
Comment ne pas inclure ce livre enchanteur, que j’ai lu et relu dans les années où ma famille vivait dans la commune danoise. Cela doit, en partie, être responsable de ma fascination pour les voisins et leur vie secrète. Les emprunteurs sont de minuscules personnes qui vivent dans les murs et sous les planchers d’une maison anglaise et « empruntent » aux grands humains. Bien que les locataires de la maison ignorent leurs voisins miniatures, un garçon se lie d’amitié avec la jeune emprunteuse, Arrietty Clock.
9. Une république lumineuse par Andrés BarbaTraduit par Lisa Dilman
Trente-deux enfants apparaissent dans la ville de San Cristóbal bordant la jungle, parlant une langue étrange qui leur est propre. Personne ne sait d’où ils viennent ni où ils disparaissent chaque nuit. Le roman puise dans nos peurs de l’autre, la façon dont nous traçons des frontières rigides et notre désir d’apprivoiser la nature. Un travail profond sur le partage des univers physiques et psychologiques.
dix. Amour libre par Tessa Hadley
Le dernier roman de Hadley, qui se déroule dans le Londres des années 60, parle d’environ Phyllis, 44 ans, qui vit en banlieue avec son mari et ses enfants. Une nuit, au bord d’un étang, elle embrasse un jeune ami de la famille : sa vie en est bouleversée. Deux ensembles de voisins dépeignent avec brio l’existence divisée de Phyllis. Il y a les Holmes de l’autre côté de la rue, à la fête desquels Phyllis se sent étouffée. Et il y a Barbara, l’infirmière de Grenade, qui est la voisine du jeune amant de Phyllis à Ladbroke Grove. Ces voisins incarnent non seulement les mondes sociaux radicalement différents que Phyllis habite, mais aussi ce que cela signifie pour une femme ébranlée de ses rôles assignés d’être regardée par la société.