Penseurs russes


Russian Thinkers est un recueil d’essais du célèbre philosophe politique britannique et professeur d’études russes, Isaiah Berlin. Les essais ont été publiés dans diverses revues des années 1940 aux années 1960. Les essais, rassemblés et édités par les universitaires russes Henry Hardy et Aileen Douglas, se concentrent sur l’histoire et la pensée des principaux penseurs, théoriciens sociaux, critiques et romanciers russes du XIXe siècle. Ils vont des romanciers comme Léon Tolstoï, Féodor Dostoïevski et Ivan Tourgueniev, aux critiques et esthètes comme Vissarion Belinsky, en passant par les agitateurs comme Mikhaïl Bakounine et les révolutionnaires populistes comme Nikolaï Tchernychevski.

Berlin attire l’attention sur des écrivains et penseurs russes négligés, ou sur des thèmes négligés dans l’œuvre d’écrivains célèbres. Le livre comprend son essai le plus célèbre, « Le hérisson et le renard », qui aborde la philosophie de l’histoire de Léon Tolstoï telle que révélée dans ses grands romans historiques, notamment Guerre et Paix. La distinction établie par Berlin entre les « hérissons », qui savent « une grande chose » et les « renards », qui savent « beaucoup de choses différentes » (empruntée à un fragment du philosophe grec Archilocus), est en fait au cœur de la plupart des aux essais de ce livre ainsi qu’à la pensée de Berlin. Berlin considère le conflit entre le « renard » (comme l’amour de la réalité concrète et des détails de la vie réelle) et le « hérisson » (comme l’amour des grandes visions et objectifs globaux) comme étant au cœur de la vie intellectuelle russe du XIXe siècle. Les écrivains et penseurs préférés de Berlin, tels que Tourgueniev, Herzen et Tolstoï, vivent avec des conflits insolubles entre ces valeurs et d’autres, comme l’individualisme contre le collectivisme. Ils refusent pour la plupart de céder à la tentation d’essayer de trouver de fausses solutions ou de s’enfuir dans une action révolutionnaire ou des projets utopiques, contrairement aux agitateurs révolutionnaires comme Bakounine ou aux populistes comme Tchernychevski.

En fait, la tension entre « renards » et « hérissons » est présente dans toute la culture russe, et pas seulement chez les écrivains russes. Les critiques destructeurs des années 1860 et 1870, incarnés par le « nihiliste » Bazarov de Tourgueniev, « défrichaient le terrain » pour une nouvelle réalité sociale, même si beaucoup d’entre eux ne pouvaient pas dire ce que ce serait. Bien entendu, nous, lecteurs du XXIe siècle, savons que les communistes ont érigé l’Union soviétique en 1917, une conscience qui constitue la toile de fond nécessaire de tous ces essais. La tension entre les renards et les hérissons est peut-être une tension inévitable dans l’existence humaine elle-même. L’humanisme libéral de Berlin, comme celui d’Herzen et de Tolstoï, consiste en partie à reconnaître la souffrance face aux problèmes humains qui ne peuvent être résolus, tout en maintenant un engagement en faveur de la justice sociale, de l’égalité et du progrès malgré les difficultés et les revers. C’est le thème central qu’il explore dans le travail des penseurs et écrivains russes qu’il découvre et explore.



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