L’ange de la faim de Herta Müller


C’était une matinée glaciale de janvier 1945 lorsque la patrouille est venue chercher Leo Auberg, dix-sept ans, pour le déporter dans un camp en Union soviétique. Leo passera les cinq années suivantes dans une usine de transformation de coke, pelletant du charbon, transportant des briques, mélangeant du mortier et luttant contre le calcul implacable de la faim qui régissait la colonie de travail : une charge de charbon vaut un gramme de pain.

Dans son nouveau roman, la lauréate du prix Nobel Herta Müller fait appel à sa combinaison unique d’intensité poétique et de précision impartiale pour évoquer le monde déformé du camp de travail dans toute son absurdité physique et morale. Elle a donné à Léo le langage pour exprimer l’inexprimable, car la faim aiguise ses sens en une acuité à la fois hallucinatoire et profonde. Scène après scène désorientante, les objets les plus ordinaires acquièrent une tendre émotion à mesure qu’ils acquièrent une nouvelle fonction : une boîte de gramophone sert de valise, un mouchoir devient un talisman, un énorme morceau de tuyau d’enveloppe sert de rendez-vous amoureux. Le cœur est réduit à une pompe, le souffle mécanisé au rythme d’une pelle qui balance, et le charbon, le sable et la neige ont leur propre volonté. La faim devient un ange insatiable qui hante le camp jour et nuit, mais aussi un partenaire d’entraînement aux mains nues, délivrant des coups qui permettent à Leo de ressentir le lien le plus brut avec la vie.

Müller a distillé la lutte de Leo dans des mots d’une intensité à couper le souffle qui nous emmènent dans un voyage bien au-delà du Goulag et dans les profondeurs de l’âme d’un homme.



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