The article explores the challenges of feminist activism, highlighting the pressures individuals face to maintain a “pure” political stance. Sophie shares her frustrations about familial interactions that trivialize her feminist beliefs, while others reflect on the difficulties of balancing personal values with professional realities. The concept of “militant purity” is examined, emphasizing the rigid expectations within activist communities and the detrimental effects of online scrutiny. Experts discuss the need for complexity and nuance in activism, suggesting that binary thinking hinders progress.
Le Dilemme de la Militance Féministe
“Le repas de Noël en famille était un festival de boomers”, raconte Sophie*, 35 ans. Des blagues sur #MeToo, “On ne peut plus rien dire”, des éloges à Gérard Darmon… Je n’ai pas pu en placer une, mais j’ai tout écouté car je suis féministe. Pour eux, je suis une sorte d’extrémiste qui ne laisse rien passer.” Ce qui m’a frappé dans son récit (qui n’est malheureusement pas très original), c’est ce qu’elle a dit : “Quand je suis rentrée à Paris et que j’ai raconté mon Réveillon, l’une de mes amies a rétorqué : ‘lol tu ne laisses rien passer mais tu manges du foie gras’. Cela s’est transformé en querelle sur le fait que ma famille – et moi – mangeons de la viande, et du foie gras, oui, et au final, je ne me suis pas du tout sentie soutenue concernant le fait que mon séjour avait été moralement compliqué. Au contraire, je me suis sentie encore plus mal.” Et ce n’est pas vraiment le but des retrouvailles entre amis, n’est-ce pas ?
La Pureté Militante en Question
Trop militante pour certains, pas assez engagée pour d’autres. Je ressens de plus en plus ce sentiment. Pendant les vacances, j’ai en fait été la cible d’attaques en ligne après qu’un appel au boycott des médias de Simone ait été lancé, sous prétexte que l’actionnaire principal du groupe Prisma Media est Vincent Bolloré depuis 2021. Peu importe le contenu réel de La Pause Simone et la rigueur de mon travail, des dizaines et des dizaines de personnes se sont désabonnées. Ont-elles aussi cessé d’écouter Billie Eilish, Taylor Swift, Mylène Farmer, Juliette Armanet, ou même les Spice Girls et L5 ? Car tous ces artistes sont signés chez Universal, un label dont l’actionnaire principal est… Vincent Bolloré. Ont-elles refusé de voir L’Amour ouf, un film coproduit par Studiocanal, une filiale de Canal+ dont l’actionnaire principal est… ? Vous saisissez l’idée.
Sur les réseaux sociaux, des centaines de personnes ont saisi cette occasion pour sensibiliser sur la “pureté militante”, un concept dont vous entendrez beaucoup parler en 2025. Alors, qu’est-ce que c’est ? Selon le collectif queer et féministe Fracas, “la ‘pureté’ militante peut être définie comme le désir d’être politiquement et moralement irréprochable selon les normes de la communauté militante à laquelle on appartient. Cela peut apparaître comme synonyme de ‘radicalité’ et vise à démontrer l’intensité de notre engagement militant.” Chers lecteurs, permettez-moi d’admettre une bonne fois pour toutes : je ne suis pas irréprochable. Pour mille raisons, dont 950 ne concernent que moi, je suis une ‘mauvaise féministe’ (titre de l’essai essentiel de Roxane Gay, Mauvaise féministe, publié en 2014). Je suis une mauvaise féministe et cela ne changera jamais, car je serai toujours trop pour certains et pas assez pour d’autres.
Alison*, 39 ans, partage les mêmes réflexions. Elle travaille dans l’industrie de la mode depuis près de vingt ans, a lancé un projet “100% aligné avec ses valeurs” mais qui ne représente que “2% de son activité” car elle ne peut pas en vivre. Elle raconte : “J’ai été critiquée, en tant que ‘moi la féministe’, pour avoir travaillé avec des marques de luxe, même pour certains projets de fast fashion, tout en faisant du upcycling. Sauf que ce choix me permet d’être créativement libre et de consommer/dépensé où je veux. Cela me permet aussi de continuer à apporter une perspective éclairée à des employés qui pourraient avoir besoin d’évoluer sur certains sujets. Si je me résignais à la pureté militante, je cesserais de travailler complètement, perdrais tout mon revenu et serais dans une situation précaire, avec ma fille, tout en laissant ma place à des personnes peut-être moins vigilantes sur les questions de sexisme, de racisme, etc. Je me suis sentie coupable, illégitime, mais au final, j’élève une petite fille qui a de belles valeurs, et je ne m’en sors pas si mal dans cet équilibre.”
Lors de notre échange, Mélanie*, 26 ans, utilise également le terme “équilibrer” pour parler de sa double activité dans le monde littéraire. “Je travaille pour un grand groupe, et je fais aussi du bénévolat pour un projet éditorial très engagé. Mon emploi de base me permet d’avoir un toit, de manger, j’apprécie de le faire, je ne me sens pas ‘une vendue’. J’aimerais vivre dans un monde où les projets LGBTQIA+, antiracistes et anti-sexistes nous rapportent beaucoup d’argent et nous permettent de dire adieu aux milliardaires cishet, mais ce n’est pas encore le cas !” Cela dit, pourquoi compliquer encore notre tâche en nous attaquant les uns aux autres ? Elsa Deck Marsault (qui a cofondé le collectif Fracas en 2019) écrit qu’il est “beaucoup plus facile de rappeler un camarade à l’ordre que quelqu’un de l’extérieur, comme notre famille ou nos collègues” et qu’il existe “un effet d’équilibre entre notre impuissance générale et notre pouvoir communautaire, qui génère une demande toujours croissante dans les cercles militants.” Elle ajoute que “cette rigueur, renforcée par l’émergence des réseaux sociaux et la performance militante en ligne, peut finir par se transformer en une certaine rigidité, voire cruauté”.
J’ai discuté de cela avec Sarah Durieux, spécialiste de l’activisme, qui publiera le 21 février chez Hors d’atteinte La Militance à tout prix ? Pourquoi nos collectifs nous nuisent et comment les guérir. Selon elle, la pureté militante n’est qu’un symptôme d’une culture de binarité héritée des systèmes que nous combattons (patriarcat, capitalisme, suprématie blanche…) et que nous finissons par reproduire. “La binarité dans le domaine politique ou militant nous pousse vers une dualité : il n’y a que des camps immuables sans possibilité de réfléchir aux complexités et aux complémentarités