Critique : « Grand Hotel Europa », par Ilja Leonard Pfeijffer

GRAND HÔTEL EUROPA, de Ilja Leonard Pfeijffer | Traduit par Michèle Hutchison


Un écrivain néerlandais d’âge moyen s’installe dans un hôtel d’une ville italienne sans nom, cherchant à rebondir après une histoire d’amour ratée et à « reprendre le contrôle de mes pensées ». Ainsi commence « Grand Hotel Europa », la nouvelle autofiction tentaculaire d’Ilja Leonard Pfeijffer, romancière, poète et érudite néerlandaise qui a longtemps résidé en Italie.

La narratrice, également nommée Ilja Pfeijffer, est arrivée dans le « somptueux… et autrefois magnifique hôtel » pour tenter d’alchimiser sa liaison avec Clio — une historienne de l’art issue d’une famille aristocratique — en roman. Le casting de personnages excentriques de l’hôtel comprend un chasseur nord-africain avec un passé de réfugié douloureux; un savant érudit et philosophe; une poétesse « féministe militante » ; le nouveau propriétaire chinois, décidé à moderniser l’endroit pour les touristes asiatiques ; et l’ancien propriétaire mystérieux, semblable à Miss Havisham, installé dans une pièce qu’Ilja ne peut pas trouver, « seule avec son art et ses souvenirs ».

L’hôtel évoque les manières et la beauté de la vie européenne prémoderne, ses cadres dorés et ses fauteuils Chesterfield amenant le narrateur à une rétrospection évanouie. Mais son enchantement est sapé par sa grande préoccupation et son épouvantail – « le phénomène du tourisme de masse », dans toute sa terrible horreur. « Grand Hotel Europa » dépeint une Europe envahie par des hordes de visiteurs consommant une parodie du passé et transformant le continent en leur « fantastique parc historique ». Le narrateur lui-même est un voyageur invétéré, mais ses pérégrinations sont présentées comme une poussée vers l’illumination ; en revanche, la quête incessante du touriste pour une expérience unique – et des publications impressionnantes sur les réseaux sociaux – conduit à l’obscénité et à la farce, comme lorsqu’un voyagiste vante les mérites de la course d’orientation nocturne au Cambodge et demande à Ilja s’il recherche « Vietnam, napalm, Tour of Duty, ça sorte de chose. »

On ne peut s’empêcher d’être impressionné par le nombre de balles narratives que Pfeijffer garde en l’air. Le roman combine une comédie de mœurs avec du journalisme de voyage, des commentaires politiques et culturels et des réflexions sur l’identité européenne. Oh, plus un mystère d’art-heist (centré sur les derniers jours et les peintures de Caravaggio). Et cette histoire d’amour. La prose de Pfeijffer, courageusement traduite par Michele Hutchison, est aussi multiple que le roman lui-même – tantôt élégante et baroque, tantôt reportage fade, tantôt paillarde (certains lecteurs peuvent grincer des dents devant ses descriptions vigoureuses de rencontres sexuelles). Que penser d’un style qui rappelle Nabokov, Tom Wolfe, Baudrillard, Umberto Eco, Wes Anderson et une prise de position de l’UNESCO ? Le roman mêle sans vergogne l’érotique et l’ésotérisme, l’hilarant et le harcelant, le bouffon et l’académique.

Les personnages de Pfeijffer ont tendance à débiter des conférences : sur la politique d’immigration, sur les inégalités causées par Airbnb et l’économie du partage, sur le concept d’européanité de George Steiner. La longueur occasionnelle est apaisée par une invective vive, voire virtuose, dictée par des touristes qui « gémissent dans toute leur oisiveté… comme le cholestérol qui inhibe la circulation de la ville et provoque des infarctus ». Une joyeuse misanthropie anime les réflexions académiques du roman, alors qu’Ilja entretient des fantasmes fleuris de soulager la surabondance de touristes par des attaques terroristes ou des méthodes de torture médiévales – et à un moment donné, jette un touriste allemand du Rialto et dans le Grand Canal à Venise.

Les gambits autofictionnels de Pfeijffer commencent par une scène du narrateur promettant à son éditeur un roman sur le tourisme, puis incorporent les propres itinéraires de l’auteur, comme son escapade à Skopje, en Macédoine, pour un festival littéraire. Une conférence organisée par Clio, sur l’avenir des musées, réunit les historiens de l’art réels Eike Schmidt et Jean Clair. Pfeijffer fusionne ces réalités quotidiennes avec le fictif et le fantastique. Clio, bien sûr, est la muse de l’histoire ; quant à l’identité de la mystérieuse ex-propriétaire de l’hôtel, elle se précise dans un dénouement spectaculaire impliquant ce qu’on pourrait appeler un enterrement pour l’Europe.

Il y a une qualité pêle-mêle dans le roman qui suggère à un écrivain de prendre toutes les bricoles sur son bureau et de les coudre avec des fils métafictionnels et autofictionnels. Tout ne fonctionne pas, mais au final, « Grand Hotel Europa » ressemble à son narrateur bavard, dont vous pardonnez volontiers les défauts et les excès parce que vous appréciez sa compagnie. Même la vision caustique et parfois lugubre du livre sur les réalités européennes contemporaines ne peut atténuer son incorrigible bonne humeur.


Rand Richards Cooper est l’auteur de deux ouvrages de fiction et un éditeur collaborateur pour Commonweal.


GRAND HÔTEL EUROPA | Par Ilja Leonard Pfeijffer | Traduit par Michèle Hutchison | 560 pages | Farrar, Straus et Giroux | 30 $

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