Rask deviendra un virtuose de l’argent, mais il ne relie jamais les airs qu’il joue à l’effet qu’ils pourraient avoir sur le monde extérieur. Au lieu de cela, il considère « le capital comme une chose vivante antiseptique. Il se déplace, mange, grandit, se reproduit, tombe malade et peut mourir. Mais c’est propre. … Plus l’opération était importante, plus il s’éloignait de ses détails concrets. La propre prose de Diaz garde une distance antiseptique qui lui est propre, quel que soit son narrateur. Son superbe premier roman, « In the Distance », finaliste du prix Pulitzer, se déroule dans l’Ouest américain pendant la ruée vers l’or, et son langage crée un monde dans lequel l’espace physique et psychique semble étiré. Certains écrivains capturent les pensées de leurs personnages à travers ce que les professeurs d’écriture créative appellent une tierce personne proche. Diaz s’appuie en revanche sur un lointain, et ses phrases sont à la fois froides, délibérées et impartiales. Dans les deux livres, il rend compte de l’intériorité de ses personnages au lieu de les dramatiser, et entre les mains de Vanner surtout, le résultat ressemble plus à une biographie qu’à un roman : un récit sans dialogue, dans lequel la vie de Rask nous est donnée plus souvent en résumé que dans les scènes.
C’est une façon désorientante mais efficace de présenter un personnage qui semble presque entièrement sans vie intérieure propre, dont tout l’être réside dans l’anticipation du clic-clic d’une bande de téléscripteur. Pourtant, l’homme riche finit par découvrir qu’il a besoin d’une femme. Son choix se porte sur une jeune femme nommée Helen Brevoort, une Américaine issue d’une vieille famille Knickerbocker qui a été élevée en Europe. Elle s’intéresse aux arts et à la philanthropie, et elle a aussi d’étranges talents qui lui sont propres, dont une mémoire si irréprochable qu’après un bref coup d’œil, elle peut réciter deux livres choisis au hasard à la fois, en les alternant phrase par phrase. Mais aucun talent n’est sans prix, et le sien finira par la conduire dans un sanatorium suisse.
Ajoutez donc Henry James à Wharton, et Thomas Mann aussi. Le premier livre de Diaz était une étude de Jorge Luis Borges, et comme le maître argentin, il a tout le passé littéraire à portée de main. « Bonds » donne le ton sur lequel les trois autres sections du roman jouent des variations, et je me suis concentré dessus afin d’éviter tout spoil ; car une grande partie du plaisir du roman provient de son imprévisibilité, de sa série section par section de surprises formelles.
Pourtant, je peux dire que la deuxième partie prétend être un mémoire d’un autre financier, ses pages pleines de notes destinées à être développées plus tard, et pleines aussi d’auto-disculpation. Cet homme affirme qu’il n’a jamais voulu que ce qui était bon et juste pour son pays, et cela inclut sa tentative de vendre à découvert l’ensemble du marché boursier avant la Grande Dépression. La troisième et la plus longue partie du livre est interprétée par la voix d’une romancière italo-américaine, Ida Partenza, fille d’un imprimeur anarchiste, née à Brooklyn : une vieille femme maintenant, dans les années 1990, racontant une histoire de sa jeunesse qui nous fera nous méfier des l’intégralité des deux premières sections du roman. Je ne dirai rien du bref quatrième récit, sauf qu’il révise lui aussi tout ce qui a précédé.