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Je trouve qu’il est presque impossible de choisir un favori parmi les romans écrits par Italo Calvino. Chaque fois que j’en prends un, j’ai ce grand sentiment WOW – c’est donc ce que c’est que d’être un véritable écrivain et poète, capable de bouleverser votre monde et de vous faire tomber comme si votre QI avait soudainement augmenté de quelques points. Monsieur Palomar est un merveilleux joyau d’observation ludique du monde qui se transforme en un traité philosophique de ce que signifie être humain dans un univers déroutant mais enchanteur.
Si ce n’était de son impatience d’arriver à une conclusion complète et définitive de son opération visuelle, regarder les vagues serait pour lui un exercice très reposant et pourrait le sauver de la neurasthénie, de l’infarctus et de l’ulcère gastrique. Et ce serait peut-être la clé pour maîtriser la complexité du monde en la réduisant au plus simple mécanisme.
Le roman est une série de vignettes, à première vue sans rapport, décrivant les tribulations d’un père de famille d’âge moyen de la classe moyenne avec une curieuse habitude d’être souvent distrait au cours de ses activités quotidiennes par des choses ordinaires qui exigent toute son attention et le conduisent à envolées de l’exubérance baroque. Philosophe des jardins et poète impromptu, M. Palomar oscille entre les pensées de la douche, l’humour et l’essai philosophique, découvrant des modèles et une signification universels pendant ses vacances d’été à la plage, observant les étoiles le soir, s’occupant de son petit jardin de ville, allant au zoo ou à l’étranger, acheter de la viande ou du fromage, sortir en société ou simplement méditer dans son fauteuil. Je ne sais pas pourquoi, mais son souci du détail presque obsessionnel me fait penser à Richard Dreyfuss dans « Rencontres rapprochées du troisième type », jouant avec sa nourriture et voyant des motifs d’une plus grande image.
L’esprit de Palomar s’est égaré, il a cessé d’arracher les mauvaises herbes ; il ne pense plus à la pelouse : il pense à l’univers. Il essaie d’appliquer à l’univers tout ce qu’il a pensé de la pelouse. L’univers comme cosmos régulier et ordonné ou comme prolifération chaotique. L’univers peut-être fini mais innombrable, instable à l’intérieur de ses frontières, qui dévoile d’autres univers en lui-même.
Quel est le secret de M. Palomar ? Qu’est-ce qui le rend spécial et pourquoi ses idées sont importantes ? Dans un monde moderne qui ne semble s’intéresser qu’aux apparences superficielles et à la vitesse, M. Palomar nous rappelle la nécessité d’équilibrer l’apport sensoriel avec l’analyse, de faire le pont entre la vision utilitaire de la philosophie occidentale et le penchant oriental pour la contemplation et la méditation. Dans un monde trop encombré de polémiques partisanes et intransigeantes, il insiste sur la nécessité de l’ouverture d’esprit et du souci de la diversité.
Le regard de M. Palomar reste alerte, disponible, libéré de toute certitude.
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C’est ainsi que pensent les oiseaux, ou du moins c’est ainsi que pense M. Palomar, s’imaginant un oiseau. « Ce n’est qu’après avoir connu la surface des choses, conclut-il, que vous vous aventurez à chercher ce qu’il y a dessous. Mais la surface est inépuisable.
M. Palomar n’est pas un prédicateur. La plupart de ses révélations sont intimes et pas si faciles à communiquer aux autres. Sa réticence à embrasser une cause ou une tendance à la mode est un point en sa faveur à mon avis. L’esprit en quête est plus soucieux de poser les bonnes questions que des lois écrites sur des tablettes de pierre.
S’il essaie parfois de prendre la parole, il se rend compte que tous sont trop concentrés sur les thèses qu’ils défendent pour prêter attention à ce qu’il essaie de s’éclaircir.
C’est qu’il aimerait moins affirmer une vérité qui lui est propre que poser des questions, et il se rend compte que personne ne veut abandonner le train de son propre discours pour répondre à des questions qui, venant d’un autre discours, nécessiteraient de repenser les mêmes choses avec d’autres mots, peut-être se retrouver sur un terrain étranger, loin des chemins sûrs.
Que puis-je dire d’autre sur M. Palomar ? Pour moi, il est probablement le plus proche que l’auteur soit venu pour s’écrire dans l’un de ses romans. J’ai remarqué ce commentaire sur l’art d’écrire présent dans d’autres livres d’Italo Calvino, mais Palomar a, je crois, plus qu’un esprit curieux. Il a l’âme, la sensibilité du poète, d’un traducteur pour nous simples mortels du langage des vagues, des brins d’herbe, d’un vol de moineau, d’une vitrine de confiserie, de constellations dans le ciel nocturne ou de d’obscurs bas-reliefs antiques.
Il sait qu’il ne pourra jamais supprimer en lui-même le besoin de traduire, de passer d’une langue à l’autre, des figures concrètes aux mots abstraits, de tisser et re-tisser un réseau d’analogies. Ne pas interpréter est impossible, comme s’abstenir de penser est impossible.
L’aspect traduction de la poésie se retrouve dans les endroits les plus surprenants, comme je l’ai déjà mentionné, mais un en particulier (la visite d’une pyramide toltèque) m’a fait appuyer sur le bouton de surbrillance de mon lecteur :
L’enseignant dit : « C’est le mur des serpents. Chaque serpent a un crâne dans sa bouche. Nous ne savons pas ce qu’ils signifient.
C’est la continuité de la vie et de la mort ; les serpents sont la vie, les crânes sont la mort. La vie est la vie parce qu’elle porte la mort avec elle, et la mort est la mort parce qu’il n’y a pas de la vie sans mort… »
L’un des sketchs me rappelle fortement Julio Cortazar et son histoire d’Axolotl : nous regardons peut-être le monde, mais le monde nous regarde aussi en arrière. Palomar va voir un gorille albinos dans un zoo :
De là, il peut entrevoir ce qu’est pour l’homme la recherche d’une échappatoire au désarroi de la vie : s’investir dans les choses, se reconnaître dans les signes, transformer le monde en une collection de symboles ; un premier jour de culture dans la longue nuit biologique.
Le spectacle du monde extérieur est une source d’émerveillement sans fin pour M. Palomar, bien mieux que la télévision selon lui. « Il n’y a pas de remède contre la curiosité » dit l’une de mes citations préférées de Goodreads, mais la curiosité n’est que la première étape sur la voie de l’illumination. La traduction, l’interprétation, l’analogie, la synthèse doivent être les compagnons de la simple observation si nous voulons apprendre quelque chose de l’expérience.
Le choix entre télévision et gecko ne se fait pas toujours sans hésitation, chacun des deux spectacles a des informations à offrir que l’autre ne fournit pas : la télévision parcourt les continents rassemblant des impulsions lumineuses qui décrivent la face visible des choses ; le gecko, quant à lui, représente la concentration immobile et la face cachée, l’envers de ce qui s’offre à l’œil.
Ainsi, vers la fin de ce roman drôle mais très sérieux, M. Palomar tourne son regard interrogateur vers l’intérieur et vers des schémas de pensée plus abstraits :
Nous ne pouvons rien savoir de ce qui est en dehors de nous, si nous nous oublions, l’univers est le miroir dans lequel nous ne contemplons que ce que nous avons appris à connaître en nous-mêmes.
Et ainsi s’accomplit aussi cette nouvelle phase de son itinéraire à la recherche de la sagesse. Enfin son regard peut vagabonder librement à l’intérieur de lui-même. Que verra-t-il ? Son monde intérieur lui apparaîtra-t-il comme une immense et calme rotation d’une spirale lumineuse ? Verra-t-il étoiles et planètes naviguer en silence sur les paraboles et les ellipses qui déterminent le caractère et le destin ? Contemplera-t-il une sphère de circonférence infinie qui a l’ego pour centre et son centre en chaque point ?
La plus haute recommandation !
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