Top 10 des forêts de fiction | Fiction

Lepuis avant que Dante ne se retrouve perdu dans un bois sombre, les forêts ont été utilisées métaphoriquement par les conteurs. Ils sont peut-être le « symbole du symbolisme », comme le dit Robert Pogue Harrison dans son livre bien intitulé Forêts : l’ombre de la civilisation. « Pourquoi, demande-t-il, les forêts devraient-elles hanter l’esprit comme un rêve ou un cauchemar mystique qui, de temps à autre, étend ses longues ombres préhistoriques sur la clarté ordinaire des choses modernes ? »

La forêt se situe toujours au-delà du monde familier et ordonné, et nous franchissons une frontière psychologique lorsque nous passons sous les arbres. Là, nous pourrions, comme Dante, perdre le chemin. L’enchantement vous attend, mais le danger aussi. J’ai choisi 10 forêts fictives qui pourraient ne pas occuper une place aussi importante sur nos étagères que, disons, Mirkwood de Tolkien ou Arden de Shakespeare, mais qui excellent dans leur rôle de métaphores. Les personnages qui y pénètrent ne peuvent éviter les rencontres fatidiques : avec l’inconscient, le moi, les profondeurs obscures du désir humain. Tous en sortent changés, pour le meilleur ou pour le pire.

Mon propre roman, Actes de méfaitse déroule dans une vraie forêt, le Grand Bois du Nord, qui couvrait autrefois une partie du sud de Londres. Il existe toujours, en fragments, et est une métaphore vivante de notre relation tendue avec la nature. J’ai donné au bois un génie loci sous la forme de Herne le chasseur, une manifestation de nos attitudes capricieuses et paradoxales envers nos forêts. Nous les romançons tout en les détruisant ; nous ne parvenons pas à faire face au mal que la malice humaine peut faire. Ce qui semble plutôt lourd, mais les bois sont toujours un endroit où nous pouvons échapper aux contraintes de notre monde construit, à la fois réel et métaphorique, pour être sauvages à notre manière. Marcher dans les bois, c’est entrer dans notre imaginaire : une rencontre fatidique nous attend.

1. Mythago Wood de Robert Holdstock
Peut-être la définition de la forêt fictive comme métaphore du subconscient humain, Ryhope Wood est traquée par les émanations des mythes créés par notre culture. Herne le chasseur se cache parmi les nombreux archétypes, dans une forêt beaucoup plus grande à l’intérieur qu’il n’y paraît de loin. Holdstock établit magnifiquement cette frontière psychologique, entre l’espace domestique d’Oak Lodge et le bois grouillant, et dès qu’elle est franchie, nous sommes sous son charme.

2. Lolly Willowes de Sylvia Townsend Warner
‘ »Non! » les bois semblaient dire : « Non ! Nous ne vous laisserons pas partir. » C’est ainsi que Laura Willowes conclut un pacte avec le diable. Lorsqu’elle abandonne pour la première fois sa vie abrutissante de tante à domicile à Londres et s’installe à Great Mop, ce sont les bois qui l’apaisent : elle s’endort recroquevillée dans les feuilles de hêtre. Mais « couché dans le bois, dormant pendant le long après-midi étouffant, était couché le Prince des Ténèbres », et Laura a finalement trouvé son secret. Seule une forêt aurait pu le contenir.

3. Train Dreams de Denis Johnson
Robert Grainier vit dans une clairière dans les bois et aime hurler avec les loups. Johnson brouille cette frontière psychologique entre la société humaine et la vie sauvage de la forêt : les chiens domestiques donnent naissance à des petits ressemblant à des loups ; des loups-garous se produisent au théâtre local. La rencontre fatidique de Grainier est une rencontre décisive que je ne gâcherai pas, mais elle combine parfaitement ses plus grandes peurs et ses plus grands désirs en une seule entité symbolique, et est vivante de l’étrange enchantement des choses hybrides.

Armie Hammer comme Maxim de Winter et Lily James comme Mme de Winter, dans l'adaptation Netflix 2020 de Rebecca.
Armie Hammer comme Maxim de Winter et Lily James comme Mme de Winter dans l’adaptation Netflix 2020 de Rebecca. Photographie : Kerry Brown/Netflix/PA

4. Rebecca de Daphné du Maurier
Instantanément, nous pensons à Manderley et à tout ce que représente la maison, mais ce n’est pas un hasard si pour atteindre l’anse de la disparition de Rebecca, nous devons traverser un bois. Ici, la narratrice croit avoir enfin trouvé « le cœur de Manderley » et Maxim de Winter, avec une grande satisfaction, l’appelle la Vallée Heureuse. C’est pourtant « inquiétant, comme un lieu enchanté », empli d’un parfum d’azalées qui viendra hanter notre héroïne. Alors qu’elle se tient sous les arbres, elle note que bien qu’elle soit une intruse dans la vaste maison, « la Happy Valley ne connaissait pas d’intrus ». À quel point elle a tort.

5. L’inquiétante paralysie de James Orr par Tom Lee
L’histoire d’une transformation involontaire – ou est-ce ? – dans lequel un fac-similé fictif de Sydenham et Dulwich Woods dans le sud de Londres joue un rôle essentiel. Lee évoque les mêmes chemins, ruines et intrigues locales qui m’ont inspiré pour écrire Mischief Acts, mais pour son protagoniste de plus en plus torturé, le bois devient non seulement une habitude mais à bien des égards son identité. Le domestique et le sauvage urbain s’affrontent intelligemment, avec esprit, alors que James Orr devient moins civilisé et plus bestial, devenant un homme sauvage pour notre époque.

6. Réflexions par Angela Carter de Feux d’artifice : neuf pièces profanes
Faites votre choix parmi les forêts sensuelles qui poussent au milieu de ses collections d’histoires, mais celle-ci représente pour moi l’apothéose de l’escalade cartérienne dans sa représentation terrifiante d’une forêt à travers un miroir. Comme un jeu de mots colossal et dérangeant sur backwoods/backwoods, cette histoire nous oblige à contempler la forêt inversée comme un cauchemar dans lequel les symboles eux-mêmes sont également transposés, à un effet vertigineux. Au final, le moi que le narrateur salue dans le miroir est aussi « mon anti-moi, mon moi non-moi, mon assassin, ma mort, la mort du monde ».

Sally O'Donnell dans le rôle de The Thing dans l'adaptation par le David Glass Ensemble de Gormenghast de Mervyn Peake.
Sally O’Donnell dans le rôle de The Thing dans l’adaptation par le David Glass Ensemble de Gormenghast de Mervyn Peake. Photographie : Tristram Kenton/The Guardian

sept. Gormenghast de Mervyn Peake
Le château de Gormenghast, avec sa pierre sans fin et ses règles infinies, pourrait être l’opposé d’une forêt. C’est certainement pour Titus Groan, car ce n’est que lorsqu’il s’échappe de ses limites et pénètre dans la forêt qu’il rencontre The Thing. « Quelque chose pour lequel il avait inconsciemment aspiré s’était montré lui-même ou son emblème dans les bois de chênes dorés », et Titus est transpercé. Cet enfant sauvage a toute la liberté sauvage à laquelle il aspire et est son pendant symbolique : la fille de sa nourrice exilée. C’est dans la forêt que la poursuite de la vraie liberté de Titus prend son envol.

8. Pollard de Laura Beatty
Tout constructeur de tanière qui a rêvé de s’enfuir vivre dans le bois devrait lire ce beau et triste roman. Anne quitte la maison en désespoir de cause et sans savoir quoi faire. Sa lente et douloureuse accumulation de compétences alors qu’elle vit dans la forêt fait de sa survie un triomphe, mais Beatty n’est pas romantique : à travers sa transformation sylvestre, Anne devient encore moins acceptable pour les humains « civilisés », et le bois indifférent ne peut pas la sauver.

9. La maison en pain d’épice de Robert Coover, extrait de Pricksongs and Descants
C’est fascinant, bien qu’intense, de lire les récits torturés de Coover aux côtés d’Angela Carter. Sa subversion de la forêt enchantée dans cette histoire est grotesque, sexualisée et magnifique. Les forêts dans les contes traditionnels sont rarement décrites, mais celle de Coover est kaléidoscopique : « Des taches de rouge, de violet, de bleu pâle, d’or, d’orange brûlée » brillent au milieu des pins. Si Bruno Bettelheim nous montrait contes de fées à travers une lentille freudienne, Coover applique cet objectif à un effet choquant, rendant les tabous humains dans une technicolor collante.

10. La sortie de l’usine de bouteilles par Beryl Bainbridge
J’ai d’abord regardé Another Part of the Wood de Bainbridge, mais là, la forêt est à peine prise en compte par les campeurs qui se chamaillent. Non, c’est dans The Bottle Factory Outing que ses pique-niqueurs condamnés dansent constamment à travers la frontière entre parc et bois, des matchs de football et du flirt à l’ombre sinistre des arbres. Ici, des pierres sont lancées par des mains invisibles, et bien pire est à venir. Bainbridge dirige sa forêt symbolique avec une précision cruelle, extirpant l’humour le plus noir de ses ombres.

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