La chute du régime d’Assad entraîne une crise économique majeure en Syrie, marquée par un morcellement territorial et une destruction des infrastructures. Salam Said, économiste, analyse les conséquences de la gestion d’Assad sur l’économie, soulignant la manipulation des ressources par le régime et l’impact des sanctions. Malgré des soubresauts de mécontentement, le régime reste en place. L’avenir économique dépendra de la levée des sanctions et de la réintégration des Syriens qualifiés souhaitant investir.
La disparition du régime d’Assad marque un tournant crucial pour la Syrie. La réorganisation politique qu’implique cette chute représente un défi immense pour le pays. De plus, l’économie syrienne est en ruines. Dans cette interview, l’économiste Salam Said aborde les conséquences de la gestion du régime sur l’économie syrienne et les perspectives qui s’offrent à elle.
État de l’économie syrienne post-Assad
ntv.de : La Syrie traverse une période d’instabilité politique et économique après la chute de Bachar al-Assad. Quelle est la situation actuelle de l’économie syrienne ?
Salam Said : Actuellement, la Syrie est fragmentée en quatre zones distinctes : une zone sous le contrôle d’Assad et du gouvernement à Damas, une zone contrôlée par le HTS à Idlib, des zones d’opposition soutenues par la Turquie autour d’Alep, et les zones autonomes kurdes dans le nord-est. Assad n’a donc la mainmise que sur une partie du pays, sans contrôle sur plusieurs champs pétroliers et terres agricoles dans le nord et le nord-est. De surcroît, le commerce interne a quasiment disparu depuis le début du conflit. Les sanctions occidentales ont également conduit à un effondrement des investissements étrangers. Hormis les transferts d’argent des Syriens vivant à l’étranger, le pays ne reçoit plus de fonds extérieurs. L’économie est également sévèrement affectée par la destruction des infrastructures : de nombreuses usines et terres agricoles ont été anéanties durant la guerre, ce qui a drastiquement réduit les activités économiques. En outre, le népotisme a gangrené l’économie, avec une élite militaire qui a utilisé son pouvoir à des fins personnelles. Une des sources de revenus que le régime d’Assad a exploitée pendant des années, malgré la crise, reste la production et le commerce de drogues.
La résistance du régime face à la crise économique
Depuis longtemps, des experts soutiennent que l’effondrement économique pourrait entraîner la chute du régime d’Assad. Pourquoi cela ne s’est-il pas produit ?
Assad a su manipuler son pouvoir et les maigres ressources de l’État pour armer son élite militaire, ce qui lui a permis d’intimider la population. Toutefois, des soulèvements ont eu lieu ces dernières années à travers le pays, témoignant du mécontentement généralisé des Syriens, qu’ils soient pro ou anti-Assad. La répression sévère a empêché la population d’obtenir des résultats politiques.
Le régime a attribué la crise économique aux sanctions. Est-ce justifié ?
Assad a effectivement utilisé les sanctions à des fins propagandistes. En partie, il a raison : les sanctions ont affecté des secteurs clés, notamment le secteur financier et le commerce. Les transferts d’argent vers la Syrie sont devenus presque impossibles. Même les Syriens qui soutenaient leurs familles depuis l’étranger ont dû se tourner vers des méthodes alternatives. Bien que les importations de médicaments ne soient pas sanctionnées, le commerce est devenu très difficile en raison des restrictions bancaires. Malgré cela, la responsabilité de la crise économique en Syrie incombe en grande partie à Assad.
Comment caractériseriez-vous la politique économique d’Assad ?
Avant même la guerre, Assad avait diminué les investissements publics dans des secteurs cruciaux tels que l’infrastructure, la santé et l’éducation, ce qui a affaibli l’économie. La libéralisation des marchés et la privatisation ont également contribué à la destruction de nombreuses industries. Cela a entraîné un taux de chômage élevé et une dépendance accrue aux importations. Pendant la guerre, Assad a continué à appliquer cette politique néolibérale, exacerbant l’inflation et la dévaluation de la monnaie.
La livre syrienne face à une pression constante
Normalement, la valeur d’une monnaie reflète la santé économique d’un pays. En Syrie, un taux fixe par rapport au dollar a été maintenu pour soutenir la livre, rendant difficile une évaluation précise de la situation économique. Assad a interdit les transactions en dollars et en euros, ce qui a permis de limiter la dévaluation de la livre. Cependant, cette politique n’a pas empêché la perte de valeur de la monnaie, surtout après la crise financière du Liban en 2019. Avec la prise de pouvoir par les forces d’opposition, il a été annoncé que le taux de la livre avait commencé à se stabiliser, et l’interdiction d’Assad a été levée.
Les perspectives économiques futures de la Syrie
Quelles sont les perspectives pour l’économie syrienne à l’avenir ?
Actuellement, l’économie syrienne souffre d’un manque de main-d’œuvre, d’investissements et de capitaux. Pour de nombreux Syriens, le régime d’Assad reste un obstacle à leur retour. Cependant, plusieurs Syriens bien formés, qui ont trouvé des emplois à l’étranger ou ont économisé de l’argent, souhaitent retourner et investir dans leur pays. Si les sanctions sont levées et que le système financier reprend son fonctionnement, la Syrie pourrait redevenir attrayante pour les investisseurs étrangers. Il est encore difficile de prédire l’évolution de l’économie après le départ d’Assad. Concernant la politique économique à Idlib, une approche libérale associée à un système bancaire islamique semble envisageable.
Quels sont les incitatifs pour les Syriens à retourner dans leur pays ?
De nombreux réfugiés vivant dans des conditions précaires en Jordanie, au Liban ou en Turquie subissent souvent racisme, discrimination et violence. Un pays sans Assad pourrait offrir de bien meilleures opportunités. Les Syriens ayant étudié à l’étranger ou créé leurs propres entreprises, ainsi que ceux dont les enfants fréquentent l’école, attendront toutefois de voir comment la situation évolue avant de faire le choix de revenir.
Existe-t-il réellement un marché du travail en Syrie ?
De nombreuses ONG envisagent de continuer leurs activités en Syrie, sous réserve d’un nouveau cadre politique. Ces organisations jouent un rôle crucial pour la société civile et peuvent contribuer à la reconstruction du pays.