lundi, décembre 23, 2024

Stéphane Sérafin : Ce n’est qu’à cause de notre militantisme à la Cour suprême que la clause dérogatoire est nécessaire

L’engagement de Pierre Poilievre d’utiliser l’Art. 33 serait un correctif utile

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Le chef conservateur Pierre Poilievre a annoncé que s’il était élu, il utiliserait la clause dérogatoire, également connue sous le nom de clause de suprématie parlementaire ou article 33, pour annuler une décision de la Cour suprême qui annulait les périodes « cumulées » d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour les meurtriers de masse. La disposition du Code criminel de l’ère Harper a été jugée inconstitutionnelle par le tribunal en 2022 dans le cas du tireur de la mosquée de Québec, Alexandre Bissonnette, dont la peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pendant 40 ans a enfreint la Charte des droits et libertés.

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Il ne fait aucun doute que cette annonce déclenchera des hurlements de protestation de la part des commentateurs juridiques canadiens, et c’est déjà le cas dans une certaine mesure. Susan Delacourt du Toronto Star répété ce qui est désormais devenu l’attaque habituelle contre toute suggestion d’utilisation de la clause de suprématie parlementaire, en qualifiant les déclarations de Poilievre d’« exemple classique de ce que les livres appellent la « tyrannie de la majorité », qui conduit au piétinement des droits des minorités ».

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Cette ligne d’attaque passe à côté de l’essentiel. Si Poilievre estime que l’invocation de l’article 33 dans le contexte du droit pénal est non seulement nécessaire, mais aussi gagnante électorale, ce n’est pas parce qu’il croit qu’une pluralité de Canadiens ont soudainement décidé qu’ils voulaient « piétiner » « les droits des minorités ». », ou qu’il y a des gains électoraux à réaliser en faisant appel à cette impulsion. C’est plutôt parce que les tribunaux se sont tellement éloignés de l’opinion publique qu’il existe désormais des arguments politiques en faveur du recours à la clause de suprématie parlementaire qui n’existait pas auparavant. Certes, il n’existait pas dans la même mesure lorsque le Parti conservateur était au pouvoir. Il n’existait pas non plus dans les années 1990 et au début des années 2000, époque à laquelle il était communément admis qu’il existait un tabou politique quant au recours à l’article 33.

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En effet, malgré l’appel constant de la Cour suprême à la nécessité de suivre l’évolution des « valeurs canadiennes » pour justifier ses propres écarts par rapport aux précédents — y compris dans l’affaire Bissonnette elle-même — il est de plus en plus clair que les tribunaux canadiens se trouvent très éloignés de l’opinion publique. sur un large éventail de questions. Les exemples abondent et ne se limitent en aucun cas au seul contexte du droit pénal.

En dehors du contexte criminel, une illustration particulièrement flagrante du décalage avec l’opinion publique peut être trouvée dans la façon dont les tribunaux de la Colombie-Britannique ont récemment traité les tentatives du gouvernement dirigé par le NPD de la Colombie-Britannique de restreindre l’usage de drogues dans les parcs publics. Bien que l’affaire soit toujours devant les tribunaux, un juge de la Colombie-Britannique a émis une injonction empêchant les autorités d’appliquer la loi jusqu’à ce que la contestation soit résolue, ce qui a depuis été confirmé par la Cour d’appel. Le gouvernement a naturellement exprimé sa frustration face à cette subordination flagrante du droit du grand public à utiliser les espaces publics aux revendications de certains individus quant à l’usage illimité de substances là où bon leur semble.

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Pour sa part, la décision de la Cour suprême dans l’affaire R. c. Bissonnette, à laquelle Poilievre a fait référence dans son annonce, est loin d’être la seule fois où les tribunaux ont agi de manière significative en dehors des limites de l’opinion publique dans le contexte du droit pénal fédéral. À la base de l’arrêt Bissonnette, ainsi que de nombreuses autres décisions invalidant les dispositions relatives aux peines minimales, se trouve un dispositif jurisprudentiel relativement nouveau appelé le « délinquant hypothétique raisonnable ». Déployé pour la première fois par la Cour suprême en 2000, il n’est devenu un élément incontournable de la jurisprudence de la Cour en matière de droit pénal qu’au cours de la dernière décennie.

Selon le principe du « délinquant hypothétique raisonnable », il ne suffit pas que les dispositions en matière de détermination de la peine soient raisonnables lorsqu’elles sont appliquées à un délinquant actuellement devant le tribunal. La simple possibilité qu’un délinquant hypothétique raisonnable soit soumis à une peine plus sévère que celle que le tribunal estime appropriée est considérée comme suffisante pour que le tribunal décide d’invalider une disposition du Code criminel pour des motifs fondés sur la Charte.

C’est grâce au dispositif du « délinquant hypothétique raisonnable » que les dispositions « cumulées » d’inadmissibilité à la libération conditionnelle ont été jugées comme une « peine cruelle et inusitée » violant l’article 12 de la Charte dans l’affaire Bissonnette. En clair, ces dispositions signifiaient qu’une personne comme Bissonette, qui a tué six personnes dans une mosquée de Québec en 2017, ne serait pas admissible à la libération conditionnelle avant qu’une période pouvant aller jusqu’à 25 ans par meurtre ne se soit écoulée (dans son cas, un total de 150 ans). années). Désormais, après la décision de 2022, quelqu’un qui commet six meurtres est éligible à une libération conditionnelle après 25 ans – la même durée qu’un délinquant condamné à perpétuité pour avoir tué une seule personne. Même si, dans l’arrêt Bissonnette, la Cour a laissé ouverte la possibilité que d’autres mesures puissent satisfaire à sa lecture de l’article 12 et permettre que la détermination de la peine fasse une distinction entre les meurtres uniques et multiples, il est difficile de voir comment des mesures visant à accroître l’inadmissibilité à la libération conditionnelle ne risquent pas de se produire de la même manière. à l’encontre de sa confiance dans le « contrevenant hypothétique raisonnable ». Dans ce contexte, l’article 33 constitue un correctif utile.

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Mais la décision R c. Bissonnette n’est peut-être pas l’appel le plus flagrant envers un « contrevenant hypothétique raisonnable », ni la décision qui illustre le mieux la véritable étendue du fossé entre les tribunaux et l’opinion publique en matière pénale. Si l’on se concentre uniquement sur la jurisprudence de la Cour suprême, cet honneur revient probablement à la décision de 2023 dans l’affaire R. c. Bertrand Marchand, dans laquelle le tribunal a annulé la peine minimale de six mois pour leurre d’enfants en s’appuyant sur « l’hypothèse raisonnable » d’une peine minimale de 20 mois. Une enseignante bipolaire d’un an qui envoie des SMS à un élève de sexe masculin, le rencontre puis se livre à des attouchements sexuels. Pour la Cour suprême, « (a) une peine appropriée pour l’infraction de leurre commise par le délinquant représentatif dans (ce) scénario est une peine intermittente de 30 jours. »

Cette évaluation de la responsabilité est sans aucun doute en contradiction significative avec l’opinion publique. Mais c’est loin d’être un cas isolé. Les tribunaux de la Colombie-Britannique, par exemple, ont statué que même une peine minimale de 90 jours imposée pour contact sexuel constitue une « peine cruelle et inusitée » contrevenant à l’article 12 de la Charte. Comme dans les arrêts Bissonnette et Bertrand Marchand, ces décisions reposent toutes sur le dispositif du « contrevenant hypothétique raisonnable ».

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Avec tout le respect dû à la Cour suprême et aux tribunaux de première instance et d’appel inférieurs du Canada, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le grand public pourrait contester une « peine intermittente de 30 jours » proposée pour l’hypothèse raisonnable soulevée dans l’affaire Bertrand Marchand. Il n’est pas non plus difficile de concevoir que des membres du public s’opposeraient à la conclusion qu’une simple peine minimale de six mois constitue une « peine cruelle et inusitée » pour leurre d’enfants, ou qu’une simple peine minimale de 90 jours pour contacts sexuels enfreint l’article 12 de la loi. la Charte.

Loin de chercher à « fouler aux pieds » les « droits des minorités », la proposition d’utiliser la clause de suprématie parlementaire dans ce contexte peut facilement être comprise comme un correctif à l’adoption par les tribunaux d’une approche qui implique le rejet potentiel de pratiquement toute forme de de peines minimales obligatoires. S’il existe une opportunité électorale de s’engager à utiliser la clause de suprématie parlementaire, alors les tribunaux ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

Stéphane Sérafin est professeur adjoint à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, Section de common law.

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