Souvenir des choses passées : Tome III


Cet avis contient ***SPOILERS***

Proust étant Proust, il utilise une échelle de temps et de détails plus conforme au rythme de la vie réelle – qui a ses aspects fastidieux – mais cette échelle semble rendre les transitions des personnages naturelles même s’il exagère leur brusquerie. , un peu. Proust est parfois comme ces réalisateurs qui font des prises continues avec une concentration profonde et beaucoup de contemplation au ralenti du paysage. Parfois, ça devient étouffant, le nombre d’incrustations, comme s’il suivait le conseil du Titien : « émaux ? ah quarante ou cinquante ».

Proust explique :
Et, sans conteste, tous ces différents plans, sur lesquels le Temps, depuis que je l’avais retrouvé à cette réception, avait exposé ma vie, en me rappelant que dans un livre qui en faisait l’histoire, il faudrait se servir de une sorte de psychologie spatiale par opposition à la psychologie plate habituelle, ajoutait une beauté nouvelle aux résurrections que ma mémoire opérait lors de mes réflexions solitaires dans la bibliothèque, puisque la mémoire, en introduisant le passé dans le présent sans modification, comme si c’était le présent, élimine précisément cette grande dimension du Temps selon laquelle la vie est réalisée.

Très tôt, il utilise la métaphore de la lanterne magique. C’est comme les ombres des cavernes de Platon, mais Proust la colore ainsi, pour Proust, l’expérience des figures d’ombre elle-même a un poids égal, au lieu d’être une illusion. Un autre thème clé est le motif (par exemple les madeleines) qui relie le passé et le présent.

Les personnages proustiens semblent agoniser sur leurs obsessions puis vont dans une direction diamétralement opposée à celle qu’ils avaient l’intention, ou à laquelle nous nous attendons ; et cela semble être un thème, celui des contraires d’humeur et de caractère participant parfois à une synthèse émotionnelle sous-jacente, de sorte qu’ils se ressemblent en un sens plus que d’autres caractéristiques qui sont moins dissemblables.

Les personnalités sont des multiples psychologiques multidimensionnels, peut-être que les gens normaux sont vraiment de nombreuses personnalités différentes avec des émotions et des capacités différentes – que les gens normaux maintiennent l’intégration en raison de souvenirs partagés. Les personnes atteintes de troubles de la personnalité multiples sont trop dissociées, au point qu’il n’y a pas assez de mémoire partagée pour intégrer les personnalités, mais même les personnes normales varient dans ce dont elles se souviennent en fonction de la sous-personnalité qu’elles sont à l’époque – mémoire dépendante de l’état . Il refuse de donner un « caractère » à ses personnages, au contraire ils ont des personnages, selon où ils sont ou avec qui ils sont ou ce qui se déclenche dans leur paysage interne. Le motif, tend à les enfiler ensemble. Vous commencez à réaliser à quel point un est incohérent. Et mémoire ! L’œuvre s’appelle Recovery of Lost Times ou Remberance of Things Past… …c’est le lien entre nos mini-personnalités ! Et en ce qui concerne la créature composite, l’auteur-protagoniste, je rappelle que dans la méditation orientale, il y a le concept de l’Observateur, qui regarde l’activité de l’esprit et les personnalités partiellement agitées, et se tient pourtant en dehors d’elles. En quel sens le narrateur, en tant qu’auteur, en tant qu’écrivain, ressemble-t-il au Veilleur (Soi impérissable) ? Et à quoi bon, en cela précisément en se tenant hors de la conscience et en faisant de la conscience un sujet de perception, il est connaissant mais étrangement impuissant ? À la fin, nous voyons une résolution dans la vocation de l’Art–Le Souvenir des Choses Passées étant, dans un sens, un énorme traité sur Writer’s Block.

Je dirais que l’un des thèmes majeurs est constitué de couches progressives d’enchantement et d’obsession, suivies de déception, de désenchantement et de chagrin. Et cela repose sur la familiarité du lecteur (au moins au niveau de l’écrémage) avec ce qui l’a précédé. Chacun implique un enroulement et un déploiement, car chaque progression du récit du narrateur, et le processus de vie de plusieurs des personnages centraux reflètent cela, semblent être saturés par, et recevoir sa profondeur de, tout ce qui a précédé. Le Bouddha a dit que la cause du chagrin est le désir (ou l’attachement), mais on oublie parfois qu’il enseignait que c’était la cause immédiate du chagrin, la cause ULTIME étant de ne pas voir la réalité pour ce qu’elle est.

Il y a un lien à plusieurs fils entre la petite phrase du leitmotiv de Swan sur son implication avec Odette et le chagrin de son compositeur et la trahison posthume de sa fille de sa mémoire, et la mémoire du narrateur de sa grand-mère, et les sentiments bivalents du narrateur pour la jolie jolie évidemment bisexuelle Albertine et sa terreur de la confirmation de ses relations lesbiennes. Il y a un passage sublime où le septept nouvellement découvert de Ventueil est joué pour la première fois avec Morel et d’autres musiciens aux Vendurins sous le parrainage du Baron de Charulus ! Le temps qui passe est aussi suggéré subtilement : la technologie s’accélère au fil des années ? Avions, téléphones, automobiles. D’abord comme des apartés en passant, puis de plus en plus dans la substance de la vie quotidienne. L’avion qui passe dans le ciel puis l’aérodrome par exemple.

Un sous-thème est l’intolérance et l’antisémitisme et l’affaire Dreyfus, pendant longtemps c’était le sujet, et socialement terrifiant pour les hôtes car cela pourrait complètement anéantir un rassemblement par ailleurs amical. Il y a un célèbre dessin animé de l’époque qui montre un dîner en deux panneaux, avant et après en avoir discuté. (http://upload.wikimedia.org/wikipedia…) Il veut que les personnages le jouent d’une manière incertaine et incohérente. (Pensez aux pensées et aux mots que vous mettriez dans la bouche des personnages en écrivant à propos de l’époque où le Watergate était un cambriolage de troisième ordre en novembre 1972.) Qu’ils puissent penser en privé une chose et en dire une autre est presque certain ; ou penser une chose et ensuite être horrifié après coup pour l’avoir pensé. Et quant à l’antisémitisme, je ne pense pas que Proust le présente de manière positive, mais il ne le traite pas non plus à la manière d’Upton Sinclair : les gentils et les méchants et empiler le jeu n’est pas son chemin. Il condamne autant par implication qu’autre chose : il semble apprécier sa voix analytique et explorer l’histoire naturelle de la contagion : un épidémiologiste, pas un médecin généraliste. Proust semble dire, c’est comme ça que ça marche, c’est ce que les gens ont ressenti, et ce qu’ils ont dit, c’est ce qu’ils ont fait, et c’est ce qu’ils voulaient faire, ou inconsciemment, ne voulaient pas faire, c’est l’essence de la chose, et qu’en pensez-vous, et avez-vous ressenti de cette façon, ou une autre, ou dit ou pensé une chose ou une autre, comment vivez-vous l’injustice, comment traitez-vous l’étranger, je vous ai montré ce que nous ( M et tous ses personnages) sont, qu’êtes-vous alors ?

Un autre thème, celui des minorités sexuelles, est un autre sous-thème sur la dualité sociale initié/étranger et les paradoxes de celle-ci. Dans le cas le plus extrême, c’est celui du baron de Charlus, mais de nombreux autres personnages sont secrètement bisexuels. (D’où, Vol. IV « Sodome et Gomorrhe ».) Le narrateur est obsédé par l’amour d’Alberine pour les jeunes femmes, et je dois vous avertir qui sont dégoûtés, le baron devient encore plus étrange avant qu’il ne descende enfin dans la vieillesse, alors ne ne sois pas trop choqué. Qu’il suffise de dire qu’il achète sa propre maison irrégulière orgiaque et paie des durs de la rue pour le soumettre à de graves abus masochistes. Les Vedurins conspirent pour rompre sa relation avec Morel, et il y a des scandales. Quand le baron s’empare autant qu’il peut de ce côté du voile, il y a des passages touchants sur le soin que Jupien exerce à soigner le vieillard.

Le dernier volume est la grande division. Tous les tomes précédents précèdent la Grande Guerre. Il décrit la supplantation de l’ancienne voie par la nouvelle génération. Vous aurez plusieurs nouvelles superpositions de personnage pour ceux que vous avez connus auparavant, lorsque vous atteignez ce point. Les personnages, comme on peut s’y attendre, vieillissent, meurent. Le narrateur est conscient de la mort (il y a plusieurs morts au cours du roman.) Cependant je pense qu’il est aussi conscient de la mort de la personne qu’on était, la mort d’une personne à l’intérieur de soi (sa projection de cette personne) , et la mort de l’amour (qui est en quelque sorte une personne composite). Et la personnification de ce thème de la mort est la fin prématurée d’Albertine ; elle, pendant un certain temps, vit plus pleinement dans son esprit que lorsqu’elle était en vie et, dans un sens ironique, communique avec lui d’outre-tombe à travers la pauvre écriture d’une lettre. La guerre est la grande séparation entre le dernier et les premiers volumes ; des vies sont détruites à grande échelle, tout comme une grande partie du paysage. Robert se fait délibérément envoyer au front là où l’action est la plus chaude, ce qui ne semble pas être une évolution positive d’un point de vue actuariel. Cette floraison suicidaire de noblesse obige ne s’accompagne d’aucune rancœur contre les Allemands, tel est son sens du devoir et de l’honneur. Proust s’en va, lui aussi, pendant un certain temps pour recouvrer la santé, et revient à une réunion sociale pour voir les mêmes personnages dans une description magnifiquement et tragiquement écrite de la mascarade de la vieillesse.

Dans tous les tomes précédents, le narrateur a gaspillé sa vocation. Dans celui-ci, il a une révélation fraîche et électrisante, dans laquelle il absorbe et transcende la tragédie. Il reçoit un assaut d’immensité sur plusieurs fronts déclenché par des signaux sensoriels et est suspendu en dehors du temps. Il arrive trop tard et doit attendre dans la bibliothèque, pendant qu’une pièce musicale est terminée – où il arrive à sa vocation.
Il transcende le Temps. Puis il quitte la bibliothèque et retourne dans la société. Et quel choc l’attend, dans l’un des passages les plus étranges et les plus tristes – tout le monde est déguisé. Mais le déguisement consiste dans les ravages du Temps. Pendant de nombreuses années ont passé.
C’était tout un voyage, et ça en valait la peine.

Note finale : j’ai découvert qu’il y a des incohérences dans certains des derniers volumes, car Proust est mort avant d’avoir eu la chance de les nettoyer. Un conseil est donc, en particulier à partir du Fugitif, de lire les notes de bas de page, si vous ne l’avez pas encore fait.



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