Bournville, apprend-on des notes de Jonathan Coe à la fin du roman, est le quatrième d’un quintette prévu qu’il écrit sous le titre général d’Unrest. Ce livre chevauche également la trilogie qui a commencé avec Le RotterClub des s et a continué avec Le cercle fermé et le prix Costa Moyenne Angleterre. Toutes ces intrigues imbriquées, tous les noms, événements et surtout lieux qui réapparaissent donnent l’impression d’un auteur dont l’œuvre est animée par un besoin presque obsessionnel de prendre de nouvelles perspectives sur le passé (et son rôle dans le façonnement du présent), de répéter et répéter les mythes fondateurs à la fois personnels et nationaux.
C’est aussi un roman qui rend clair l’évolution de l’œuvre de Coe, depuis les feux d’artifice expérimentaux de ses premiers travaux, en passant par la satire calme et légèrement amère de ses titres de mi-période, jusqu’à la succession de livres extrêmement impressionnants qu’il a produits depuis 2016. Si le Brexit ne nous a rien apporté d’autre de valeur, il a au moins relancé la carrière de l’archi-europhile. BournvilleComme Moyenne Angleterre, est un roman sur l’état de la nation qui cherche à répondre à une question posée par un musicien allemand au début du livre : « Cette nouvelle voie que vous avez empruntée ces dernières années, pourquoi l’avez-vous exactement choisie ? Et pourquoi avez-vous choisi cet homme, entre tous, pour vous y conduire ?
Bournville ouvre en Allemagne au moment même où les premières vagues de panique du coronavirus frappent. Lorna Simes, une employée de bureau de Birmingham, est à Leipzig pour poursuivre sa carrière musicale. Entre les concerts, elle appelle sa grand-mère, Mary, qui est chez elle à Birmingham, et ils discutent de la pandémie. Mary a un anévrisme inopérable qu’elle appelle sa « bombe à retardement », mais semble plus optimiste quant à l’épidémie que sa petite-fille. À partir de là, le roman revient 70 ans en arrière jusqu’au jour de la victoire, jusqu’à Mary enfant.
Bournville, un village et une usine, a été construit par la famille Quaker Cadbury au 19ème siècle, « un village non seulement fondé et dévoué, mais en fait rêvé par le chocolat ». Il semblait proposer un modèle de capitalisme différent de celui qui a fini par dominer la Grande-Bretagne, une vision de « l’industrie et la nature existant en harmonie, symbiotiques, co-dépendantes ». Nous rencontrons Mary pour la première fois avec ses parents, Sam et Doll, le jour de la victoire. Au milieu des célébrations, il y a un moment sombre lorsque Carl, un vieil homme allemand qui vit en Angleterre depuis des décennies, est frappé par un voyou. Bournville est un roman sur les relations anglo-allemandes, les bonnes et les mauvaises.
C’est aussi, comme pour Moyenne Angleterre, un roman sur l’intersection de la vie publique et privée, avec le monde public souvent représenté par la famille royale. Coe ne pouvait pas savoir à quel point la publication de son roman suivrait la mort de la reine, mais cela donne une émotion supplémentaire à la façon dont le livre est structuré. Nous avons le discours du roi le jour de la victoire ; la prochaine fois que nous rendrons visite à la famille à Bournville, c’est pour le couronnement en 1953. Mary est plus âgée et courtisée par le classique coincé Geoffrey (petit-fils de Carl).
Coe traverse le temps, en passant par la Coupe du monde 1966, où il prouve que, comme son héros BSJohnson (au passage, un très bon surnom pour notre ancien Premier ministre), il peut écrire avec brio sur le football. Nous rencontrons la cousine de Geoffrey, Sylvia, et son mari, Thomas, que nous reconnaissons dans les romans précédents de Coe Expo 58 et La pluie avant qu’elle ne tombe. Leur maison – contrairement à la maison de Geoffrey et Mary – est épurée et minimaliste, avec des meubles scandinaves, une chaîne stéréo Bang & Olufsen et une « maquette argentée étincelante de l’Atomium de l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958 ». Partout, il y a des messages sur l’interdépendance de la vie britannique et européenne.
Le chocolat est un autre motif qui réapparaît tout au long du roman. Lors d’une réunion entre les branches allemande et anglaise de la famille, une dispute se développe pour savoir si le chocolat britannique ou allemand est meilleur. Alors que les enfants de Mary et Geoffrey grandissent – nous revisitons la famille pour l’investiture du prince de Galles en 1969, puis pour le mariage de Charles et Diana en 1981 – l’histoire de la «guerre du chocolat» entre la Grande-Bretagne et l’UE se joue. Martin monte au sein de la structure corporative de Cadbury’s, se rendant finalement à Bruxelles pour représenter les intérêts du chocolat britannique. Durant cette période, il croise la route de Paul Trotter (de Le cercle fermé) et aussi avec un journaliste maladroit et menteur appelé Boris.
Le roman se termine par un retour à son début. Nous rendons visite à la famille Bournville – maintenant dispersée à travers le pays – alors qu’elle réagit à la mort de Diana puis en mai 2020, au plus profond de la crise de Covid, avec Mary s’auto-isolant et ses enfants et petits-enfants (dont Lorna) s’inquiétant pour elle. Il y a une telle chaleur et générosité dans ces derniers passages, qui sont particulièrement émouvants quand on sait qu’ils sont tirés de l’expérience de Coe de la mort de sa propre mère pendant la pandémie. Il est difficile (mais pas impossible) de tracer une ligne entre l’énergie complexe des premiers travaux de Coe et ces romans ultérieurs plus doux et plus calmes. On a l’impression d’un auteur plus à l’aise avec lui-même, mieux à même de canaliser sa colère et sa frustration face à la direction prise par son pays, ainsi que son amour indéfectible pour lui, dans une prose d’une beauté durable, dans des personnages qui viennent vie glorieuse et rédemptrice sur la page.