La domination kurde en Syrie recule, avec le retrait des Forces démocratiques syriennes de Manbij, conformément à un cessez-le-feu américain. Ankara considère ce retrait comme une victoire, cherchant à éloigner les Kurdes de sa frontière. Les tensions persistent, notamment autour de Kobane, tandis que les Kurdes, alliés des États-Unis contre l’État islamique, subissent de pressions internes et externes. La situation soulève des incertitudes sur leur avenir, notamment en ce qui concerne d’éventuels accords avec des forces rebelles islamistes.
La Réduction du Contrôle Kurde en Syrie
Le territoire sous domination kurde en Syrie est en train de diminuer. Mazloum Abdi, le commandant en chef des Forces démocratiques syriennes (SDF), a annoncé récemment que ses troupes se retiraient de la ville de Manbij, dans le cadre d’un cessez-le-feu orchestré par les États-Unis.
Avant la chute du régime d’Assad, les rebelles de l’Armée nationale syrienne (SNA) avaient lancé une offensive contre les Kurdes, bénéficiant du soutien direct de la Turquie. Cela leur a permis d’expulser les Kurdes de leurs territoires autour d’Alep, faisant de Manbij la dernière ville kurde à l’ouest de l’Euphrate. Ces rebelles, sous la protection d’Ankara, ne peuvent agir de manière autonome.
Les Enjeux Géopolitiques et la Réaction Turque
Du point de vue d’Ankara, le retrait des Kurdes au-delà de l’Euphrate représente une victoire temporaire. La Turquie n’a jamais accepté la formation d’une région autonome kurde en Syrie, qui a vu le jour en 2012 dans le nord-est du pays. Les unités de protection du peuple kurde sont perçues par la Turquie comme l’extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme un ennemi de l’État.
Les autorités turques cherchent à éloigner les forces kurdes de la frontière immédiate et à garantir le départ de toutes les forces non syriennes. Leur objectif principal est de rompre les liens entre le PKK et les régions kurdes en Syrie, et ces exigences s’étendent également aux zones à l’est de l’Euphrate.
La question kurde en Turquie ajoute une dimension complexe à la situation. Le président Erdogan utilise une approche mixte pour inciter les Kurdes turcs à coopérer, tout en veillant à ce qu’ils se distancent des zones kurdes d’en face.
Cette dynamique ne laisse pas présager une diminution des pressions turques sur les Kurdes en Syrie. Les récents commentaires du ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan, soulignant l’importance de prévenir de nouvelles violences, ne changent guère la donne.
Des affrontements autour de Kobane, une ville frontalière contrôlée par les Kurdes, ont également été signalés. La libération de cette ville de l’emprise de l’État islamique en janvier 2015 a été un point tournant dans la lutte kurdo-américaine contre le terrorisme en Syrie.
La Turquie a montré qu’elle considérait la question kurde en Syrie comme une priorité, reléguant d’autres préoccupations au second plan. Une chute de Kobane aux mains de forces islamistes pro-turques aggraverait la situation déjà tendue.
Historiquement, les Kurdes ont collaboré avec le régime d’Assad et les Russes, mais leur principal garant de sécurité a toujours été les États-Unis. Les SDF représentent les alliés clés de Washington dans la lutte contre l’État islamique.
Les bases américaines restantes se trouvent dans le nord-est kurde, où plusieurs camps abritent des milliers d’anciens combattants de l’EI. Les SDF ont averti qu’ils pourraient retirer les troupes protégeant ces camps en cas d’agressions plus importantes, soulignant la nécessité pour les États-Unis de prévenir un renforcement de l’EI.
L’accord concernant Manbij a été établi suite à la visite du général américain Erik Kurilla, commandant au Moyen-Orient, auprès des troupes américaines et kurdes. La visite imminente du ministre des Affaires étrangères Tony Blinken à Ankara portera également sur ces enjeux cruciaux.
Washington doit naviguer prudemment en tenant compte des intérêts de son allié turc de l’OTAN, d’autant plus que ce dernier a accru son influence en Syrie grâce à la victoire des rebelles islamistes. L’incertitude concernant le changement de gouvernement à Washington, notamment avec les perspectives du futur président Donald Trump, qui a exprimé le souhait que les États-Unis se retirent de la Syrie, suscite des inquiétudes chez les Kurdes.
Les Kurdes subissent également des pressions dans le nord de la Syrie. À Deir al-Zur, un groupe arabe a quitté les SDF pour rejoindre l’alliance rebelle Hayat Tahrir al-Sham (HTS), la nouvelle force dominante dans la région.
Bien que les Kurdes demeurent la force principale au sein des SDF, d’autres groupes ethniques et minorités religieuses, ainsi que certaines tribus arabes, participent à cette alliance. Toutefois, des mouvements de retrait se font jour, encouragés par les changements de pouvoir et par la Turquie.
Il est possible que d’autres groupes suivent l’exemple de Deir al-Zur, surtout dans les zones à majorité arabe où l’autorité des SDF est fragile.
Cette situation soulève des questions cruciales sur le futur des Kurdes en Syrie. Un accord avec les rebelles islamistes n’est pas à exclure. Le leader actuel de Damas, Mohammad al-Julani, a exprimé son soutien à la diversité ethnique et religieuse, promettant même une certaine forme d’autonomie kurde.
Cela pourrait faire partie de sa stratégie pour gagner l’appui de Washington. Cependant, la voix d’Ankara demeure influente, avec un désire ferme d’éviter toute légitimation des forces kurdes et de leurs revendications. Actuellement, seuls des Arabes sunnites sont représentés dans le gouvernement de transition syrien, et la question kurde reste l’un des défis les plus épineux parmi les nombreux problèmes non résolus en Syrie.