NoViolet Bulawayo allégorise les conséquences de Robert Mugabe

GLOIRE
Par NoViolet Bulawayo

Au début du nouveau roman très intelligent de NoViolet Bulawayo, « Glory », elle supprime complètement le vocabulaire des « personnes » de l’histoire et le langage de ses personnages, qui sont tous des animaux. Le livre se déroule à Jidada, un pays africain fictif qui peut être compris comme une sorte de fantasia du Zimbabwe dans la période entre le renversement militaire de son président, Robert Mugabe, en 2017, et sa mort deux ans plus tard. Il s’agit d’une brillante fable postcoloniale de 400 pages retraçant la chute d’un tyran – dont l’homologue ici est un cheval âgé – et la montée d’un nouveau.

Les autres habitants de Jidada sont des cochons et des vaches, des chèvres et des moutons, des chats et des chiens, des poulets et quelques paons. Il y a un crocodile très grand et chargé de symboles qui rappelle les surnoms réels donnés au remplaçant humain de Mugabe, Emmerson Mnangagwa, et aussi au Premier ministre sud-africain PW Botha, un partisan de l’apartheid. Il n’y a ni hommes ni femmes dans « Glory » ; il n’y a pas de personnalité du tout, seulement des « mals » et des « femals ». Les choses qui sont gardées privées sont des affaires « personnelles ». Les animaux quadrupèdes basculent librement entre le déplacement sur quatre pattes et deux, et lorsqu’ils optent pour ce dernier, on parle de « recul ». C’est une allégorie qui fonctionne entièrement selon ses propres termes, avec son propre lexique ingénieux. En sortant les humains de l’équation, Bulawayo élimine les hiérarchies qu’imposerait leur présence. Elle a réussi à créer l’anti-« Babar ».

Et bien qu’il existe certainement des parallèles entre les créatures de Jidada et les chroniques d’Orwell de Snowball, Napoléon, Boxer et compagnie, dans le tout premier chapitre « Glory » met en garde contre l’interprétation du livre uniquement par des comparaisons avec « Animal Farm ». Lors d’un discours prononcé devant la foule rassemblée pour les célébrations de la fête de l’indépendance, le Dr Sweet Mother, un âne en talons Gucci et l’équivalent équin de l’épouse du dirigeant déchu, Grace Mugabe, annonce :

« Je me tiens ici pour répondre à cette absurdité ici même en ce moment, avec Jidada lui-même et ce soleil là-bas comme témoins, et je dis : ce n’est pas une ferme d’animaux mais Jidada avec un -da et un autre -da ! Donc, mon conseil pour vous est, arrêtez-le, et arrêtez-le tout de suite ! »

Bien que faisant partie d’une litanie visant Tuvy, sa rivale politique, les paroles du Dr Sweet Mother sont trop explicites pour ne pas constituer un avertissement pour le lecteur. Ici et encore, lorsque le Dr Sweet Mother regarde joyeusement la vidéo YouTube de son propre discours, nous l’entendons directement de la bouche de l’âne : ce n’est pas « la ferme des animaux ». Pas son remix, ni sa traduction. « Glory » est son propre monde vivant, tiré de son propre folklore.

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