Une centrifugeuse imposante, surnommée « bête bleue », a été récemment inaugurée à l’Institut de géotechnique de l’ETH Zurich. Avec ses neuf mètres de bras et une force centrifuge équivalente à 100 fois celle de la Terre, elle permet d’étudier les effets des tremblements de terre et d’autres catastrophes sur des modèles réduits réalistes. Ce dispositif, essentiel pour la recherche géotechnique, est entouré de mesures de sécurité strictes pour éviter tout accident lors de son fonctionnement.
La grande aventure commence avec un mouvement lent. La tige d’un bleu éclatant tourne de plus en plus rapidement dans la salle, jusqu’à ce qu’elle devienne difficile à suivre pour les yeux. Dans l’auditorium, tous les regards sont fixés sur l’écran, où se déroule une image en direct de la chambre de la centrifugeuse.
Les employés affectionnent le surnom de « bête bleue » pour désigner cette imposante centrifugeuse qui a été récemment inaugurée à l’Institut de géotechnique de l’ETH Zurich. Avec son bras en acier massif de neuf mètres de long et un poids de 20 tonnes, elle est peinte d’un bleu éclatant. Lorsqu’elle tourne, les extrémités atteignent des vitesses de plus de 200 km/h.
Cette centrifugeuse est la plus puissante d’Europe et parmi les plus performantes au monde. Les géotechniciens de l’ETH l’utilisent pour explorer des solutions visant à protéger les infrastructures des tremblements de terre, à comprendre pourquoi les piliers de ponts s’effondrent lors d’inondations, ou encore à maintenir en position verticale des éoliennes en mer. Grâce à cet équipement, ils peuvent mener des expériences sur des modèles réduits, évitant ainsi de reconstruire des édifices à échelle réelle.
Des modèles réduits avec un poids réaliste
Pour étudier l’effondrement d’une maison lors d’un tremblement de terre, les chercheurs construisent une version réduite à un centième de l’original. Par exemple, une maison de dix mètres de haut ne fait que dix centimètres dans le modèle, tandis qu’une couche de terre de vingt mètres est représentée par vingt centimètres de sable. L’ensemble repose sur une plaque de secousse capable de simuler un tremblement de terre.
Mais quel est le rôle de la centrifugeuse ? Le défi réside dans le poids. Dans le modèle réduit, tout pèse bien moins que dans la réalité. Cela est particulièrement important pour le sol simulé, comme l’explique Ioannis Anastasopoulos, professeur de géotechnique à l’ETH Zurich et directeur scientifique du centre de centrifugeuse. « Du sable entre les doigts à la plage est léger et aéré. Mais le sable qui supporte le poids d’une couche de terre de vingt mètres est un matériau complètement différent », ajoute-t-il.
Pour cette raison, les scientifiques utilisent la centrifugeuse pour créer une gravité artificielle qui équivaut à cent fois celle de la Terre. Ainsi, dans la centrifugeuse, le modèle miniature de la maison et la fine couche de sable pèsent autant que dans la réalité, permettant des reproductions réalistes d’événements comme les tremblements de terre.
Le fonctionnement de la centrifugeuse repose sur un principe similaire à celui d’un manège à chaînes. Les balançoires en acier bleu aux extrémités du bras massif de la centrifugeuse agissent comme les sièges du manège. Lorsque la centrifugeuse commence à tourner, la force centrifuge propulse les balançoires vers l’extérieur, maintenant tout sur ces balançoires fermement en place. À une vitesse suffisante, cette force exerce une pression sur les expériences équivalente à 100 fois celle de la gravité terrestre.
Les modèles réduits sont également construits de manière extrêmement réaliste. Anastasopoulos présente un pilier de pont miniature, mesurant seulement deux centimètres d’épaisseur et quinze centimètres de long, mais fabriqué en véritable béton, avec une armature en acier à l’intérieur. Lors des expériences, les chercheurs soumettent le pilier à diverses charges jusqu’à ce qu’il se brise à l’extrémité supérieure. « Nous cassons des éléments en laboratoire pour éviter qu’ils ne se brisent dans le monde réel », explique Anastasopoulos.
Maîtriser la bête bleue
Théoriquement, la centrifugeuse pourrait rendre les modèles jusqu’à 250 fois plus lourds qu’ils ne le sont. Cependant, dans la pratique, elle ne fonctionne jamais à sa vitesse maximale. « C’est déjà suffisamment impressionnant à une gravité centuple », déclare Ralf Herzog, responsable du laboratoire.
La bête bleue comporte des risques. Lorsqu’elle est en rotation, des forces extrêmes sont en jeu. Si un objet tombe d’une balancelle ou si celle-ci se détache, il peut être projeté avec une force incroyable contre le mur. Pour des raisons de sécurité, la centrifugeuse est donc située dans un bunker protégé par des murs en béton de trente centimètres d’épaisseur. Pendant son fonctionnement, personne ne doit se trouver dans la pièce, même pas dans les pièces adjacentes. Les scientifiques et techniciens qui supervisent la centrifugeuse se trouvent dans un centre de contrôle à distance.
Il a failli ne jamais y avoir d’installation pour la centrifugeuse, comme le rappelle Anastasopoulos. Les risques de sécurité devaient être minutieusement évalués, tout comme les préoccupations des voisins. En effet, un nouveau bâtiment dédié à la physique quantique est en construction juste à côté du bunker. Les physiciens craignaient que la centrifugeuse ne provoque des vibrations perturbant leurs expériences délicates. Après des discussions, une solution a été trouvée. Le bunker de la centrifugeuse repose maintenant sur quatre énormes ressorts en acier, permettant d’isoler les vibrations de l’environnement extérieur.
Une première impressionnante pour la centrifugeuse
Lors de son inauguration, la bête bleue a atteint la vitesse escomptée. Une bouteille de champagne placée dans l’une de ses balançoires pesait désormais vingt fois son poids normal. Soudain, un bruit retentit. Un bras robotisé a fait basculer la bouteille de son support. Dans un enregistrement au ralenti, on peut la voir tomber – vingt fois plus vite que d’habitude – et se briser. La plus grande centrifugeuse d’Europe a ainsi été officiellement inaugurée.
Pour Ioannis Anastasopoulos, cela représente l’aboutissement de près de dix ans de planification et d’organisation. Un collègue lui avait alors soufflé l’idée d’une grande centrifugeuse qu’Anastasopoulos pouvait presque…