Les lignes de chant de Bruce Chatwin


Dans ce livre extraordinaire, Bruce Chatwin a adapté une forme littéraire commune jusqu’au XVIIIe siècle mais rare dans le nôtre ; une histoire d’idées dans laquelle deux compagnons, voyageant et discutant ensemble, explorent les espoirs et les rêves qui les animent et les personnes qu’ils rencontrent. Situé dans des régions presque inhabitables de l’Australie centrale, Les lignes de chant pose et essaie de répondre à ces questions : Pourquoi l’homme est-il le plus agité, le plus insatisfait des animaux ? Pourquoi les errants conçoivent-ils le monde comme parfait alors que les sédentaires essaient toujours de le changer ? Pourquoi les grands maîtres – le Christ ou le Bouddha – ont-ils recommandé la Route comme voie. au salut ? Sommes-nous d’accord avec Pascal pour dire que tous les problèmes de l’homme proviennent de son incapacité à s’asseoir tranquillement dans une pièce ?

Nous ne posons pas souvent ces questions aujourd’hui car nous supposons couramment que vivre dans une maison est normal et que la vie errante est aberrante. Mais depuis plus de vingt ans, Chatwin réfléchit à la possibilité que l’inverse soit le cas.

L’Australie précoloniale était la dernière masse continentale sur terre peuplée non pas de bergers, d’agriculteurs ou de citadins, mais de chasseurs-cueilleurs. Leurs labyrinthes de chemins invisibles à travers le continent sont connus pour nous sous le nom de Songlines ou Dreaming Tracks, mais pour les Aborigènes comme les traces de leurs ancêtres – la Voie de la Loi. Le long de ces « routes », ils parcourent afin d’accomplir toutes ces activités qui sont typiquement humaines – chant, danse, mariage, échange d’idées et arrangements des limites territoriales par accord plutôt que par la force.

Dans la recherche de Chatwin pour les Songlines, Arkady est un ami et un guide idéal : Australien de naissance, fils d’un exilé cosaque, avec toute la force et la chaleur de son héritage. Qu’il s’agisse de chasser le kangourou d’un Land Cruiser, de parler au petit Rolf dans sa caravane remplie de livres, d’acheter des boissons à un policier fanatique (et écrivain en devenir), d’applaudir alors que le véritable amour d’Arkady se déclare (partie de Les lignes de chant est une comédie romantique), Chatwin transforme cette aventure picaresque presque invraisemblable en quelque chose approchant l’échelle d’une tragédie grecque.

La vie des Aborigènes est bien sûr en contraste frappant avec les cultures dominantes de notre temps. Et Les lignes de chant présente des détails inoubliables sur les types de différends que nous connaissons trop bien à partir de confrontations moins traumatisantes: sur des terres sacrées envahies par les chemins de fer, les mines et les chantiers de construction, sur les lois et les droits d’un peuple pauvre contre un riche envahissant. Pour Chatwin, ce ne sont que des exemples locaux récents d’une distinction fondamentale éternelle entre les colons et les vagabonds. Son livre, consacré à ce dernier, est une brillante évocation de cet optimisme profond : que l’homme n’est pas par nature un agresseur belliqueux mais une espèce pacifique, chantante, adaptative dont le destin est de rechercher la vérité.



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