Les événements de mars 2023, marqués par l’intégration de Credit Suisse à UBS, révèlent une crise de confiance liée à une gestion défaillante. Les anciens dirigeants de la CS, tout en se sentant injustement blâmés, soulignent la fierté d’une institution dynamique face à des scandales coûteux. Axel Lehmann et Thomas Gottstein, anciens présidents, ont tenté de redresser la situation, mais ont finalement quitté la banque, laissant derrière eux une série de pertes et une réputation ternie par des affaires judiciaires.
Les événements marquants de mars 2023 rappellent des souvenirs de crise qui remontent à deux ans. Aujourd’hui, la Credit Suisse est intégrée à l’UBS. Au fil du temps, de nombreuses narrations ont émergé concernant la dégringolade de cette grande institution bancaire. Un consensus semble se dégager : la Credit Suisse a souffert d’une gestion interne défaillante. Colm Kelleher, président de l’UBS, a noté dès 2016 que la banque était dans un état préoccupant. La culture d’entreprise au sein de la CS était en déliquescence, et la banque se dirigeait vers l’échec depuis plusieurs années. C’est un récit façonné par les vainqueurs.
Les témoignages des perdants, cependant, peignent un tableau différent. Plusieurs anciens dirigeants de la CS, qui ont choisi de garder l’anonymat, ont partagé leurs réflexions avec la presse.
Le jugement du public reflète celui de la commission d’enquête parlementaire (PUK) : la confiance perdue et la chute de la banque incombent majoritairement au conseil d’administration et à la direction des dernières années.
Axel Lehmann : le capitaine aveugle
Axel Lehmann, l’ancien président de la CS, pensait jusqu’au 19 mars 2023 qu’il pouvait inverser le cours des choses. Malgré sa détermination, son image dans le rapport de la PUK est ternie : il n’a pas su affronter la réalité financière de la banque ni prendre conscience de l’urgence de la situation à temps.
Après la dissolution de la CS, Lehmann s’est éloigné du secteur financier pour se consacrer à des projets académiques et publier des travaux. On l’a récemment vu à divers événements sociaux à Zurich, et il a partagé ses réflexions sur les conseils d’administration en difficulté à l’école de cadres IMD. Ce 19 mars, jour de la reprise, demeure pour lui une expérience traumatisante, témoigne un ancien cadre, ayant été témoin des erreurs de l’ancienne direction face à des scandales non résolus.
D’autres anciens dirigeants se sentent injustement blâmés. Selon eux, la banque était en bonne santé et gérait bien ses risques. Les nombreux scandales et affaires judiciaires qui ont coûté des milliards ont fait de la CS une victime d’une fraude systémique.
L’effondrement du fonds spéculatif Archegos en mars 2021 a été catastrophique pour la CS. Tandis que d’autres institutions ont limité leurs pertes grâce à des mesures rapides, la CS a subi des pertes de 5,5 milliards de francs.
Des événements désastreux comme l’effondrement des fonds Greensill et un scandale de corruption au Mozambique ont enfoncé la CS encore plus profondément dans la crise en 2021, ce qui a conduit à la démission de son directeur à l’époque, Thomas Gottstein.
Thomas Gottstein : le faiseur de deals déchu
Thomas Gottstein, qui a pris les rênes de la CS en pleine pandémie, était le premier PDG suisse après Lukas Mühlemann. Son approche pragmatique, sa présence médiatique et le succès du programme de crédit Corona pour les PME lui ont valu la confiance de nombreux acteurs. Beaucoup espéraient qu’il pourrait redresser la situation.
Sous sa direction, des pourparlers de fusion secrets avec l’UBS ont même eu lieu, Gottstein étant envisagé comme le futur PDG de la banque fusionnée. Cependant, la fusion n’a jamais abouti, et il a choisi de réduire les activités de banque d’investissement pour se concentrer sur la gestion de patrimoine. Mais ces efforts sont venus trop tard, et la pression croissante l’a conduit à quitter la banque pour des raisons de santé en juillet 2022, alors qu’il est toujours sous le coup d’une enquête de la Finma liée à Greensill. Aujourd’hui, il conseille des entreprises sur des transactions de fusion et acquisition.
Un point commun qui émerge des discussions avec les anciens de la CS est la fierté qu’ils ressentent pour leur institution et leur travail, notamment à la Credit Suisse (Suisse). Contrairement à l’UBS, souvent perçue comme bureaucratique, la CS était plus dynamique dans le secteur du crédit. Elle se considérait comme une banque pour les entrepreneurs, développant des solutions de financement sur mesure en collaboration avec ses clients. Cette approche flexible est encore un défi pour l’UBS, qui tend à présenter des offres standardisées.
Cependant, ce sont les scandales qui laissent une empreinte indélébile. Entre 2010 et 2022, la CS a dû débourser environ 15 milliards de francs en amendes, selon la PUK. Pendant cette période, les primes versées ont atteint 39,8 milliards de francs, tandis que la banque a enregistré des pertes de 33,7 milliards. La direction qualifiait ces incidents de « cas isolés regrettables ».
Le schéma répétitif était le suivant : la direction s’excusait et promettait des améliorations, jusqu’à ce qu’un nouveau scandale éclate. L’affaire Spygate en 2019, où des dirigeants ont été surveillés, en est un exemple frappant.
Le président de la CS, Urs Rohner, a continué de soutenir le PDG Tidjane Thiam, qu’il avait recruté en 2015, même pendant les scandales. Pourtant, Thiam a perdu son poste peu après la révélation d’autres cas de surveillance.
Un ancien cadre décrit une atmosphère de méfiance qui prévalait à l’époque, racontant des réunions où les dirigeants communiquaient uniquement par des notes manuscrites, par crainte d’être écoutés.