Le Rebelle d’Albert Camus


‘Je me rebelle, donc nous le sommes.’

Attaché à cet avis :
https://www.goodreads.com/review/show…

REGARDE AUSSI:

Rébellion:
Caligula
le juste
Chevaux en fuite

Rationalisme et totalité :
Les origines du totalitarisme
La propagande
Psychologie Des Foules
Crime et Châtiment

Autres définitions de la liberté :
Dieu et l’Etat
Sur la liberté
La loi
Liberté et propriété

Histoire des idées au XIXe siècle :
La création des identités nationales. Europe, XVIIIe-XXe siècle
Nouvelle histoire des guerres de Vendée
La France du XIXe siècle. 1814-1914
La Révolution Française
Histoire De La Russie Et De Son Empire
De la Démocratie en Amérique, tome I
De la Démocratie en Amérique, tome II

Devis:

Le fascisme, c’est le mépris, en effet. Inversement, toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme.
[…]
On n’interpose pas entre le chef et le peuple un organisme de conciliation ou de médiation, mais l’appareil justement, c’est-à-dire le parti qui est l’émanation du chef et l’outil de sa volonté d’ oppression.’

La liberté absolue, c’est le droit pour le plus fort de dominer. Elle supporte donc les conflits qui profitent à l’injustice. La justice absolue passe par la suppression de toute contradiction : elle détruit la liberté.’

‘La révolte n’est nullement une revendication de liberté totale. Au contraire, la révolte fait le procès de la liberté totale. Elle conteste justement le pouvoir illimité qui autorise un supérieur à violer la frontière interdite. Loi de revendiquer une indépendance générale, le révolté veut qu’il soit reconnu que la liberté a ses limites partout où se trouve un être humain, la limite étant précisément le pouvoir de révolte de cet être. […] La liberté qu’il réclame, il la revendique pour tous ; celle qu’il refuse, il l’interdit à tous. Il n’est pas seulement esclave contre maître, mais aussi homme contre le monde du maître et de l’esclave.’

‘Le monde marche à l’aventure, il n’a pas de finalité. Dieu est donc inutile, puisqu’il ne veut rien. S’il voulait quelque chose […] il lui devra assumer « une somme de douleur et d’illogisme qui abaisserait la valeur totale du devenir ». […] Privé de la volonté divine, le monde est également privé d’unité et de finalité. C’est pourquoi le monde ne peut être jugé.

‘L’ascèse nietzschéenne, partie de la reconnaissance de la fatalité, aboutit à une divinisation de la fatalité. […] Le mouvement de révolte où l’homme revendiquait son être propre disparaît sans la soumission absolue de l’individu au devenir. L’amor fati remplace ce qui était un odium fati.’

‘Nietzsche est bien ce qu’il reconnaissait être : la conscience la plus aiguë du nihilisme. Le pas décisif qu’il fait accomplir à l’esprit de révolte consiste à faire sauter de la négation de l’idéal à la sécularisation de l’idéal. Puisque le salut de l’homme ne se fait pas en Dieu, il doit se faire sur la terre. Puisque le monde n’a pas de direction, l’homme, à partir du moment où il l’accepte, doit lui en donner une, qui aboutisse à une humanité supérieure.

« Le nietzschéisme, théorie de la volonté de puissance individuelle, était condamné à s’inscrire dans une volonté de puissance totale. Il n’était rien sans l’empire du monde. Nietzsche haïssait sans doute les libres-penseurs et les humanitaires. Il prenait les mots « liberté de l’esprit » dans leur sens le plus extrême : la divinité de l’esprit individuel. Mais il ne pouvait pas empêcher que les libres-penseurs partissent du même fait historique que lui, la mort de Dieu, et que les conséquences fussent les mêmes. Nietzsche a bien vu que l’humanitarisme n’était qu’un christianisme privé de justification supérieure, qui conservait les causes finales en rejetant la cause première. Mais il n’a pas aperçu que les doctrines d’émancipation socialistes devaient prendre en charge, par une logique inévitable du nihilisme, ce dont lui-même avait rêvé : la surhumanité.’

‘L’homme, au bout de sa révolte, s’enfermait; sa grande liberté consistait seulement, du château tragique de Sade au camp de concentration, à bâtir la prison de ses crimes. Mais l’état de siège peu à peu se généraliser, la revendication de liberté veut s’étendre à tous. Il faut bâtir alors le seul royaume qui s’oppose à celui de la grâce, celui de la justice, et réunir enfin la communauté humaine sur les débris de la communauté divine.’

La revendication de justice aboutit à l’injustice si elle n’est pas fondée d’abord sur une justification éthique de la justice. Faute de quoi, le crime aussi, un jour, devient devoir. Quand le mal et le bien sont réintégrés dans le temps, confondus avec les évènements, rien n’est plus bon ou mauvais, mais seulement prématuré ou périmé. Qui décidera de l’opportunité, sinon l’opportuniste ?’

‘Dans la pensée fixe de son temps, la pensée allemande a réussi à tout faire d’un coup un mouvement irrésistible. La vérité, la raison et la justice se sont brusquement incarnées dans le devenir du monde. Mais, en les jetant dans une accélération perpétuelle, l’idéologie allemande confondait leur être avec leur mouvement et fixait l’avènement de cet être à la fin du devenir historique, s’il en était une. Ces valeurs ont cessé d’être des repères pour devenir des buts. Quant aux moyens d’atteindre ces buts, c’est à dire la vie et l’histoire, aucune valeur préexistante ne pouvait les guider. Au contraire, une grande partie de la manifestation hégélienne consistait à manifester que la conscience morale, dans sa banalité, celle qui obéit à la justice et à la vérité comme si ces valeurs existaient hors du monde, compromet, précisément, l’avènement de ces valeurs. La règle de l’action est donc devenue l’action elle-même qui doit se dérouler dans les ténèbres en attendant l’illumination finale. La raison, annexée par ce romantisme, n’est plus qu’une passion inflexible.

[…] L’action n’est plus qu’un calcul en fonction des résultats, non des principes. Elle se confond, par conséquent, avec un mouvement perpétuel.’

=> Ceci dit, Camus prend l’exemple de Napoléon…
Autrement dit ce calcul rationnel de l’efficacité des moyens mis au service d’une fin enregistrée dans le mouvement de la Révolution de 1789, puisque la Révolution permet précisément l’avènement d’un Barras, puis d’un Napoléon. Encore qu’on pourrait remonter bien plus en amont encore.’

[Sur Hegel et ses héritiers: ]

‘Le cynisme, la divinisation de l’histoire et de la matière, la terreur individuelle ou le crime d’État, ces conséquences démesurées vont alors naître, toutes armées, d’une conception équivoque du monde qui remet à la seule histoire de produire les valeurs et la vérité. Si rien ne peut se concevoir clairement avant que la vérité, à la fin des temps ait été mis au jour, toute action est arbitraire, la force finie par régner. […] L’attitude de Hegel consist à dire : « Ceci est la vérité, qui nous paraît pourtant l’erreur, mais qui est vraie, justement parce qu’il lui arrive d’être l’erreur. Quant à la preuve, ce n’est pas moi, mais l’histoire, à son achèvement, qui l’administrera. » Une pareille prétention ne peut entraîner que deux attitudes : ou la suspension de toute affirmation jusqu’à l’administration de la preuve, ou l’affirmation de tout ce qui, dans l’histoire, semble voué au succès, la force en premier lieu. Dans les deux cas, un nihilisme.’

On ne comprend pas en tout cas la pensée révolutionnaire du XXe siècle si on néglige le fait que, par une fortune malheureuse, elle a puisé une grande partie de son inspiration dans une philosophie du conformisme et de l’opportunisme. La vraie révolte n’est pas mise en cause par les perversions de cette pensée.

Le marxisme n’est pas scientifique ; il est, au mieux, scientiste. Il fait éclater le divorce profond qui s’est établi entre la raison scientifique, fécond instrument de recherche, de pensée, et même de révolte, et la raison historique, inventée par l’idéologie allemande dans sa négation de tout principe. […] [La raison historique] mène le monde en même temps qu’elle prétend le juger.’

Si le socialisme, dit un essayiste libertaire [Ernestan], est un éternel devenir, ses moyens sont sa fin. Exactement, il n’a pas de fin, il n’a que des moyens qui ne sont garantis par rien s’ils ne sont garantis par une valeur étrangère au devenir. […]

Il n’y a donc pas dans cet univers, aucune raison d’imaginer la fin de l’histoire. Elle est pourtant la seule justification des sacrifices demandés, au nom du marxisme, à l’humanité. Mais elle n’a pas d’autres fondements qu’une pétition de principe qui a été introduite dans l’histoire, royaume qu’on voulait unique et suffisant, une valeur étrangère à l’histoire. Comme cette valeur est en même temps étrangère à la morale, elle n’est pas à proprement parler une valeur sur laquelle on peut régler sa conduite, elle est un dogme sans fondement qu’on peut faire sien dans le mouvement désespéré d’une pensée qui étouffe de solitude ou de nihilisme, ou qu’on se verra imposer par ceux à qui le dogme profite. La fin de l’histoire n’est pas une valeur d’exemple et de perfectionnement. Elle est une valeur d’arbitraire et de terreur.

L’Empire suppose une négation et une certitude : la certitude de l’infinie plasticité de l’homme et la négation de la nature humaine. Les techniques de propagande servent à mesurer cette plasticité et de faire coïncider la réflexion et le réflexe conditionné.

« Qu’est-ce que le roman, en effet, sinon cet univers où l’action trouve sa forme, où les mots de la fin sont prononcés, les êtres livrés aux êtres, où toute vie prend le visage du destin. Le monde romanesque n’est que la correction de ce monde-ci, suivant le désir profond de l’homme.’

—-

L’exposition Guerre froide au Mémorial de Caen à la Seconde Guerre mondiale et à la Guerre froide



La salle de guerre dans Dr Strangelove – Stanley Kubrick (1964)



Source link