Dans le nouveau film de science-fiction français Le règne animal, le monde change et les humains évoluent avec lui. Une mutation commence à transformer les humains en hybrides animaux, créant une variété d’humains-oiseaux, d’humains-insectes, d’humains-mammifères et de nombreux autres nouveaux types d’êtres. Au milieu de ce bouleversement se trouve une famille divisée : la mère, en pleine mutation, a disparu d’un transport médical, ce qui laisse le père et le fils désespérément à sa recherche. Le film fantastique sort enfin dans les salles américaines et en VOD, après une première projection à Cannes et dans d’autres festivals de cinéma en 2023.
La conception de la créature dans Le règne animal est un exemple parfait de la façon dont les effets pratiques et numériques peuvent fonctionner en harmonie pour se compléter, créant ainsi un effet impossible à obtenir seul. Le réalisateur Thomas Cailley et son équipe ont utilisé un mélange de divers effets pratiques (costumes, maquillage, animatroniques) et d’effets numériques pour créer certains des designs les plus évocateurs et originaux depuis des années, comme un humain-pangolin écailleux ou un humain-caméléon qui peut se fondre. en harmonie avec l’environnement.
Mais au cœur du film se trouve la relation émouvante entre père et fils. Romain Duris (Aramis dans la dernière adaptation française à succès de Les trois Mousquetaires) est incroyablement émouvant dans son portrait du père, François, faisant ressortir sa peur de perdre sa famille bien-aimée et l’attention profonde qu’il lui porte quelles que soient les circonstances. La performance de Paul Kircher dans le rôle de son fils, Émile, est transcendante, d’autant plus que l’adolescent commence à vivre des changements inattendus, faisant évoluer chaque élément de sa performance physique tout en conservant l’âme maussade d’un adolescent en difficulté. Ensemble, ils donnent vie à une relation complexe dans un monde trépidant.
Fascinant et sans cesse discutable, notamment dans les questions qu’il pose sur l’humanité et la manière dont nous traitons ceux qui sont différents de nous, Le règne animal dépeint avec beaucoup de soin son monde changeant. La présence de ces personnes hybrides provoque des réactions disparates de la part des humains du film : compassion, peur, colère, dégoût. Certaines personnes sont profondément préoccupées par la manière dont les peuples hybrides sont traités et prônent la coexistence, tandis que d’autres forment des milices et prônent la violence. Tout cela aboutit à une représentation très concrète de la façon dont notre société réagit aux personnes qui sont marginalisées, dans toutes ses nuances.
La prémisse centrale du film invite à de nombreuses lectures allégoriques différentes : s’agit-il d’une question de race ? Est-ce une question de handicap ? Est-ce une question de genre ? S’agit-il de xénophobie ? Le vaste éventail d’interprétations est quelque chose que Cailley a déclaré qu’il appréciait jusqu’à présent les réactions du public, mais le réalisateur insiste sur le fait qu’il n’y a pas de bonne réponse. Tout cela se combine pour donner l’un des films les plus intrigants de l’année et l’une des meilleures œuvres originales de science-fiction de mémoire récente. Avant la sortie, Polygon a parlé à Cailley de la moralité compliquée du film, des effets magnifiques et de ses créations de créatures préférées avec l’aide d’un traducteur, Nicholas Elliot.
Polygon : Quelle a été l’origine de l’idée du projet et comment vous êtes-vous impliqué pour la première fois ?
Thomas Cailley : À l’origine, je voulais raconter une histoire père-fils, et je voulais qu’il y ait un élément fantastique, quelque chose qui déplacerait le récit, l’emmènerait ailleurs. Et par hasard, j’ai rencontré une jeune femme [Pauline Munier] qui était un scénariste qui était encore à l’école, en fait pour écrire des scénarios à l’époque. Et elle avait écrit une histoire sur l’hybridation entre l’animal et l’humain, et j’ai trouvé cela très intéressant. Et c’est ainsi que nous avons commencé à travailler ensemble sur un projet. C’était en 2019, il y a quatre ans.
Quelle était votre relation avec le genre science-fiction avant de réaliser ce film ?
Eh bien, mon premier film [Love at First Fight] glisse progressivement vers une sorte d’élément de science-fiction ou d’anticipation. C’est l’histoire d’une jeune femme persuadée, convaincue que le monde va finir, et à la fin du film, cela arrive effectivement. Et c’est quelque chose que nous devions montrer, nous devions le mettre en scène. Au départ, cela n’avait pas été prévu lorsque j’ai commencé à écrire mon premier long métrage. Et ce faisant, j’ai découvert le plaisir d’inventer ce genre d’images. Et c’est donc quelque chose sur lequel je voulais revenir avec un autre film, revenir à cette liberté que l’on obtient en travaillant avec le genre et qui permet d’approfondir la croyance dans les personnages.
Quelle a été votre philosophie et votre approche dans la conception des créatures du film ?
Le concept de mutation est qu’elle part du corps humain pour évoluer vers quelque chose de différent, vers une autre frontière, un nouvel horizon, et nous avons essayé de le garder réaliste et organique. Dans la plupart des films qui traitent de la mutation, il y a quelque chose de magique ou d’accéléré dans la mutation : vous vous transformez parce qu’il y a une pleine lune dehors, ou vous enfilez un costume et vous êtes alors mi-homme, mi-animal. Ici, nous voulions quelque chose de beaucoup plus progressif qui, d’une certaine manière, ressemblerait à une maladie, et c’était la chose la plus difficile à faire.
Lors des premières réunions que nous avons eues pour préparer le film, ce qui était vraiment terrifiant, c’est qu’il semblait qu’il fallait faire du 100 % CGI, 100 % effets numériques, et je ne voulais absolument pas ça. Nous avons donc essayé de combiner tous les types d’effets possibles. Dans la plupart des scènes, vous avez affaire à de vrais acteurs, il y a tout le temps un vrai corps devant la caméra. Et nous avons travaillé très dur sur le maquillage, les prothèses, les animatroniques, c’est-à-dire les robots. Et quand nous ne pouvions vraiment pas le faire, nous avons utilisé CGI. Il y a donc une hybridation de la technologie que l’on retrouve dans chaque plan du film. Le cocktail que nous utilisons est toujours différent. Et ce qui est vraiment intéressant dans ce cocktail, c’est qu’il est plus réel, il n’y a pas d’écran vert, pas de motion capture ; et deuxièmement, parce que le mélange de technologies est toujours différent, l’œil du spectateur n’a jamais la chance de s’habituer à ce qu’il voit et de comprendre ce qui se passe, en termes de technologie.
Juste pour conclure, puisque vous m’avez posé des questions sur la philosophie, j’ai commencé à travailler avec un auteur de bande dessinée. Et puis j’ai travaillé avec des gens que l’on appelle des créateurs de personnages. Quand j’ai commencé l’écriture au tout début, l’idée était que la mutation se faisait de l’être humain vers l’animal tel qu’on le voit dans la nature, mais plus j’avançais dans le tournage, et plus je rencontrais les acteurs qui vont jouer ces personnages, j’ai trouvé qu’il serait bien plus intéressant que chaque personnage invente le personnage qu’il allait incarner. Nous nous sommes donc dirigés vers ces formes originales atypiques qui ne sont en fait pas exactement celles que l’on retrouve dans la nature. Il ne s’agit donc pas tant d’un retour à la nature que de la découverte d’une nouvelle humanité, d’une nouvelle frontière dans l’évolution.
C’est très intéressant, notamment le rapport entre l’hybridation des techniques et l’hybridation des espèces dans le film. Y a-t-il des modèles de créatures que vous aimez particulièrement ? Pour moi, le plan le plus frappant du film est peut-être celui de la personne qui a une peau reptilienne et dont on voit les omoplates bouger alors qu’elle glisse dans l’herbe.
Il est intéressant que vous ayez mentionné le reptile car c’est aussi l’une de mes créatures préférées. Et c’en est une qui est assez représentative de notre travail. Vous savez, c’est un personnage qu’on ne voit jamais dans son intégralité. Mais nous avons cette photo de son dos. Et l’idée de son dos est venue d’un danseur contemporain que j’ai découvert et qui avait des os, une structure squelettique et des muscles très intéressants. Et lorsque ce danseur se pose à plat sur le sol, ses omoplates se dressent littéralement, créant un relief très intéressant sur son dos, troublant parce que c’est humain, mais c’est aussi autre chose. Alors dans le cas de cet acteur qui jouait le reptile, on lui a littéralement mis une nouvelle peau dans le dos et on lui a demandé d’avancer comme un reptile. Et ce que vous voyez de son dos et de sa structure squelettique est en réalité à la fois humain et animal. J’ai aussi beaucoup aimé la femme aux calamars du supermarché, qui d’ailleurs est aussi danseuse.
En ce qui concerne le travail avec les acteurs pour concevoir les créatures, y a-t-il eu des « Eurêka ! des moments qui ressemblaient à, Oui, cette personne a vraiment compris ce que je voulais ici.
Il y a eu un moment dans le film. C’est le moment où François, le père d’Emil, se bat contre une créature derrière le restaurant. C’est la créature humain-morse. Et ce combat est interrompu par le collègue de François. Elle frappe la créature avec une pagaie de canoë. Et à ce moment-là, la créature et la femme échangent des regards. Et c’était vraiment un si beau moment, pensais-je. L’acteur qui portait ce costume ne pouvait pas voir du tout à cause du costume. Mais il avait compris quelque chose sur le mouvement physique nécessaire et le temps s’est véritablement arrêté. Il y a à ce moment-là une combinaison très poétique de la compréhension de la scène par l’actrice, de la compréhension de la scène par l’acteur aveugle et de trois ou quatre personnes qui contrôlent les animatroniques, car il y a environ 1 000 moteurs dans la tête de cette créature, ce qu’ils font, et cela fait de cette scène de combat une rencontre entre deux êtres. Et donc ce moment m’a vraiment époustouflé parce que j’ai senti toute une équipe se rassembler et vraiment s’aligner.
Il y a beaucoup de thèmes dans le film que vous pouvez lire comme des allégories. Y a-t-il des sujets contemporains auxquels vous pensiez spécifiquement ?
Bien sûr, il y a un sujet très universel dans le film, qui est la relation parents-enfants et la transmission des choses sur deux générations. C’est le sujet profond du film, ce que signifie laisser quelque chose à quelqu’un : François, qui transmet un monde à son fils Emil. Et c’est une question qui me touche beaucoup, car je suis un père relativement récent, et je trouve vraiment mystérieuse cette question de ce qu’un parent transmet à ses enfants. Tout au long du processus de réalisation de ce film, nous avons essayé très fort de ne pas limiter la métaphore. Je pense que ce qui est intéressant dans le fantasy, quand ça marche, c’est que chacun peut l’interpréter comme il le souhaite. J’étais donc très heureux lorsque nous avons commencé à montrer ce film au public et de constater que beaucoup de gens voyaient différentes métaphores dans le film. Certains m’ont parlé de la métaphore des différences, de la façon dont on accepte la différence. Certains m’ont parlé de la crise des migrants que connaît aujourd’hui l’Europe. Certains m’ont parlé de la psychiatrie, de la situation de la psychiatrie, en France et en Europe. Certains ont parlé de personnes racialisées, terme français désignant une identité raciale non centralisée. Et d’autres m’ont parlé de transition de genre. Je pense que le pouvoir de la fantaisie, lorsqu’elle fonctionne, c’est que tout n’est pas résolu. Vous laissez la place au spectateur.