L’animatrice et réalisatrice suisse Raphaëlle Stolz (« Le Salsifis du Bengale ») a présenté son nouveau court métrage « Miracasas » à Annecy, où il est en compétition avec 37 autres courts métrages d’animation dans le cadre de la sélection officielle.
Stolz utilise un style d’animation fluide et impressionniste pour raconter l’histoire d’Ernesto, un soldat presque mort transporté jusqu’à sa destination finale au plus profond de la jungle brésilienne, où les villageois espèrent que sa mort inaugurera une nouvelle vie. Le film est une coproduction franco-suisse entre Nadasy Film, un studio d’animation suisse de premier plan, Komadoli Studio et le radiodiffuseur public suisse RTS Radio Télévision Suisse.
Dotée d’un don pour la collaboration (son court « Le Salsifis du Bengale » était une adaptation d’un poème de Robert Desnos), Stolz interprète et transforme l’histoire d’Augusto Zanovello avec son style singulier, à coups de pinceau larges, humour malin et clin d’œil à l’animation classique. Dans une histoire qui défie les fondements de la religion et pose la question de la mortalité, l’œuvre de Stolz est à la fois un répit romantique et une épiphanie de lumière.
Variété s’est entretenu avec Stolz avant les débuts du film à Annecy.
Quelle est l’inspiration pour l’histoire de Miracasas?
L’histoire était déjà bien avancée par Augusto Zanovello quand j’ai commencé à travailler dessus, et elle s’est ensuite transformée au fur et à mesure des animatiques. Le film parle de réincarnation, et la spiritualité est quelque chose qui m’a toujours accompagné, mais qui est devenu plus présent pour moi ces dernières années en réalisant « Miracasas ».
Le film était quelque peu thérapeutique, car il parle du trans-générationnel. Les histoires de fantômes, d’esprits errants, d’âmes en peine, qui pourraient être, pour moi, le reflet d’histoires qui ne nous appartiennent pas mais qui nous accompagnent, prennent un sens nouveau. Cela a toujours été une question pour moi, et l’idée de proposer une vision de ce que pourrait être un dernier chemin vers l’au-delà, vers une libération, me semblait intéressante.
Dans « Miracasas », je vous emmène en Amérique du Sud, au Brésil plus précisément. Il y a évidemment ce goût du voyage, de la représentation des univers, des paysages, des cultures qui me passionne. « Le Salsifis du Bengale » était une critique de la tyrannie, et « Miracasas » est une critique de certains aspects religieux, de certaines fonctions sociétales qui conduisent à des morts inutiles, tout en proposant une vision de ce que pourrait être une voie vers l’au-delà.
« Miracasas » propose une animation vive et imaginative. Pouvez-vous décrire la méthode d’animation et comment en êtes-vous arrivé à ce style ?
Pour la méthode, j’ai fait tous les décors au trait sur papier puis j’ai fait les décors en couleur sur photoshop. Les poses d’animation ont été réalisées en partie sur papier, puis redessinées sur TVpaint. Toute l’animation a été réalisée dans TVpaint, un logiciel qui permet un rendu 2D. Tout est dessiné. La couleur de l’animation a également été réalisée sur TVpaint, en plusieurs couches de peinture. Ensuite le compositing nous a permis d’ajouter des textures de papier qui bouclent sur l’animation, et sur le décor, ce qui nous permet d’avoir une sensation « papier avec grain », ce qui était très important pour moi.
L’univers graphique de « Miracasas » s’est développé sur cinq mois, mais il est le fruit d’une progression visuelle datant de mes premières années d’études à l’école Emile Cohl, en passant par l’école des Gobelins. Il y a tout un travail sur les personnages caricaturés qui vient de mes 10 dernières années de recherche. Au niveau des formes, j’aime trouver des personnages qui se répondent graphiquement et qui fonctionnent comme une entité « village ». L’esthétique du film est proche de mon ancien film : « Le Salsifis du Bengale ». On y retrouve le trait lâche, vibrant et très détaillé que l’on avait dans ce premier film. Mais j’ai poussé le travail de la couleur très loin dans « Miracasas ». Je réalise des peintures à l’huile grand format en parallèle de mon travail de réalisatrice, et cela m’aide à progresser dans mon approche de la couleur. Mes sources d’inspiration sont multiples, allant de la peinture, avec toutes les oeuvres des Nabis, à l’univers de la bande dessinée, comme Jorge Gonzalez, Brecht Evens, Manuele Fior, à l’illustration ; avec Solotareff, des courts et longs métrages d’animation, comme « Les Triplettes de Belleville ».
Le voyage d’Ernesto dans « Miracasas » parvient à traiter des thèmes lourds comme la mort, l’amour et le sacrifice, le tout dans un court laps de temps. Était-ce un défi ? Et que disent ces thèmes de la tradition ?
Oui, c’était un challenge car le film est très dense et il ne faut pas qu’il soit indigeste. Mais la mort peut être joyeuse. Je voudrais que nos coutumes nous conduisent à fêter le départ. Je voudrais que les gens dansent sur ma tombe ! J’aimerais que la vie, si éphémère, si rapide, soit célébrée au moment du départ, et que les gens aient de beaux souvenirs, même au moment du départ. Parce que la douleur est si grande… Le corps a du mal avec ces départs, qu’ils soient réels, tangibles, physiques ou émotionnels. Le film apparemment positif est quelque peu cynique, et c’est ce mélange que j’ai voulu mettre en scène. La mort n’est pas si heureuse dans le film. C’est pour les villageois parce qu’une nouvelle âme leur est apportée… mais pour Ernesto, ce n’est pas un chemin facile.