Jean-Xavier de Lestrade, le cinéaste oscarisé derrière la série documentaire « L’Escalier », a une fois de plus touché une corde sensible avec « Samber », une série limitée sur un violeur en série français qui explore les dégâts de la violence sexuelle contre les femmes et les enfants.
« Samber », une série de thrillers en six épisodes réalisée par de Lestrade, retrace le véritable cas de Dino Scala, un père de famille apparemment ordinaire qui a agressé sexuellement et violé plus de 50 femmes et mineurs pendant trois décennies dans le nord-est de la France. Malgré le dépôt de plainte de plusieurs victimes, Scala a réussi à passer entre les mailles du système judiciaire français et a bénéficié d’une attitude complaisante à l’égard des abus sexuels. Il a finalement été arrêté en février 2018 et reconnu coupable de 17 viols, 12 tentatives de viol et 27 agressions ou tentatives sexuelles. En juin 2022, Scala a été condamnée à 20 ans de prison.
Représentée sur les marchés internationaux par Federation Studios, la série en six épisodes a capturé l’air du temps en France, qui subit un nouveau #MeToo avec des allégations contre des personnalités vénérées du cinéma français, dont Benoit Jacquot, Jacques Doillon et Gérard Depardieu.
« Samber » a battu des records d’audience en prime time lors de sa diffusion en novembre et décembre sur la chaîne publique française France 2, avec une part d’audience moyenne de 19 % et plus de 4 millions de téléspectateurs par épisode. La série a également récolté 3 millions de vues en ligne en seulement huit jours et cumule désormais 5,2 millions de vues à ce jour sur la plateforme VOD de France Télévisions.
Chaque épisode de « Samber » est vu à travers le point de vue d’un personnage impliqué dans l’affaire, une victime (jouée par Alix Poisson), le juge (Pauline Parigot), le maire (Noémie Lvovsky), la scientifique (Clémence Poésy), la policier (Olivier Gourmet) et Scala (Jonathan Turnbull). Alice Géraud, journaliste auteur du livre d’investigation « Sambre, radioscopie d’un fait divers », a créé et écrit la série avec Marc Herpoux. « Samber » a été produit par What’s Up Films et Federations Studios en coproduction avec Versus Productions.
De Lestrade s’est entretenu avec Variété avant les projections de Londres, où « Samber » jouera, pour expliquer pourquoi la série résonne si fortement aujourd’hui.
Pourquoi avez-vous souhaité aborder l’histoire de « Samber » comme une série de fiction plutôt que comme un documentaire ?
Réaliser un documentaire est un processus très long et épuisant sur le plan émotionnel : cela vous absorbe, car nous prenons quelque chose aux gens qui partagent leurs histoires et nous donnons quelque chose de nous-mêmes en retour. Pendant que je réalisais « The Staircase », je me suis rapproché de Michael Peterson et du mystère qui entourait la mort de sa femme Kathleen. Cela m’a profondément hanté pendant des années. Après cela, j’ai décidé de ne pas faire un autre documentaire. Depuis, je fais de la fiction mais elle est toujours inspirée par quelques observations sur notre société, le monde dans lequel nous vivons et qui nous sommes. Même avec « 3X Manon » [a mini-series about a teenager accused of stabbing her mother], c’était une fiction mais nous avons fait beaucoup de recherches pour que ce soit très réaliste. Avec « Samber », tout a commencé avec Alice Géraud, qui est arrivée au bureau. Elle a été journaliste pendant de nombreuses années et enquêtait sur cette affaire pour son livre, et à un moment donné, elle a senti qu’il y avait de la place pour la fiction dans cette histoire et qu’elle ne pouvait pas tout mettre dans son livre.
La fiction vous donne également la possibilité de décrire les choses d’une manière que le documentaire ne fait pas.
Oui, ce qui est bien avec la fiction, c’est que quand on parle d’une histoire vraie, on ne va pas seulement raconter tous les faits parce que c’est ce que fait un documentaire. Nous allons plutôt essayer d’en trouver le sens. Que dit cette affaire sur nous-mêmes ? Nous raconterons ce que l’histoire signifie réellement. Avec « Samber », nous tentons d’expliquer ce que cette histoire dit de la société française, de cette époque, et de la manière dont nous avons traité les cas de violences sexuelles et de viols au cours des 30 dernières années.
Que dit « Samber » au-delà de ce cas précis ?
Toutes les histoires d’intérêt humain ne disent pas quelque chose sur notre société, mais celle-ci le fait. « Samber » fait partie de ces histoires qui mettent en lumière les travers d’une société et de ses institutions. C’est formidable de pouvoir transmettre tout cela à travers des personnages qui résonnent et déclenchent des émotions.
Pourquoi à votre avis, cette affaire n’a-t-elle pas fait grand bruit en France, même lorsque Dino Scala a finalement été arrêté ?
Il est très révélateur que les gens s’en soucient si peu. Il reste le plus grand prédateur sexuel de France et il a été arrêté. Un procès a eu lieu quatre ans plus tard. Et pourtant, les Français ne se sont pas passionnés pour cela, il n’y a pas eu de couverture médiatique totale.
Serait-ce parce qu’il était un « gars d’à côté » et non un psychopathe haut en couleur ?
Oui, et c’est précisément pour cela que je pense qu’il fallait faire cette série. Ce prédateur, ce violeur, est en fait très représentatif de ce qu’est la criminalité sexuelle. Pourquoi a-t-il fallu 30 ans pour l’attraper ? Parce que le viol n’a jamais été considéré comme un crime très grave. Deuxièmement, les gens supposent à tort qu’un violeur devait être un marginal, un solitaire total, sans emploi et sans aucun lien social. En effet, dans 80 % des cas, les violences sexuelles proviennent de personnes parfaitement intégrées dans la société, comme Dino Scala. Un violeur peut être un éducateur, un professeur de musique, un médecin, etc.
Qu’avez-vous appris sur l’état psychologique de Dino Scala au cours de vos recherches ?
Dino avait une famille très dysfonctionnelle où il y avait quelques abus sexuels, comme c’est souvent le cas des personnes reconnues coupables de violences sexuelles. Sa sœur avait été victime d’inceste de la part de leur père dès l’âge de 7 ou 8 ans jusqu’à 12 ans. Quand elle avait 10 ans, elle a demandé à Dino, 13 ans, et à leur frère aîné, 16 ans, de la protéger, mais le frère aîné a quitté la maison au bout de six mois. Dino, quant à lui, se retrouvait au milieu et vivait avec ce secret. Il lui était impossible d’agir en conséquence et il ne pouvait pas faire cesser les abus. Ainsi, comme cela arrive parfois, il a commencé à s’identifier à l’agresseur. C’est comme un mécanisme d’adaptation qui naît de la culpabilité et évolue vers un sentiment de complicité et enfin une identification à l’agresseur.
Pouvez-vous parler des scènes d’interrogatoire avec les victimes qui sont filmées en longs plans individuels ?
Lorsque vous racontez des histoires sur des personnes et des victimes réelles, vous devez être extrêmement prudent car elles souffrent énormément. Mon obsession avec « Samber » était de ne pas ajouter de douleur ni de souffrance, de ne pas trop dramatiser ou sensationnaliser le tout. Je savais que l’ampleur dramatique viendrait de l’histoire elle-même et de l’intensité des personnages. Et de l’ironie dramatique de montrer la banalité de ce violeur et le type de violence dont il était capable. Ces victimes n’ont pas été écoutées lorsqu’elles se sont adressées à la police, nous voulions donc absolument mettre le public dans une position où il n’avait pas d’autre choix que de les écouter. Il y a de longues scènes qui sont centrées sur la victime, on ne coupe pas sur les policiers qui de toute façon ne faisaient pas attention. Il souligne le réalisme de ces scènes où l’on sent la vulnérabilité des acteurs eux-mêmes. Nous avons fait beaucoup de prises pour trouver la vérité dans chaque représentation.
J’ai pensé à « Incroyable », la mini-série Netflix, en regardant « Samber ».
Oui, c’était une de nos références. Mais dans « Incroyable », l’intrigue tourne surtout autour du fait qu’on ne croit pas les victimes, et il semble que la série ne vise pas à dresser un portrait de la société dans son ensemble. Dans « Samber », nous avons essayé d’être entre « Incroyable » et « The Wire »… C’était notre référence absolue de par la façon dont il explore les tenants et les aboutissants d’une société. Avec « Samber », nous avions l’ambition de dresser un portrait sociétal des violences sexuelles faites aux femmes au cours des 30 dernières années.
Diriez-vous que les Français et les États-Unis ont des attitudes similaires à l’égard des crimes sexuels ?
Le mouvement #MeToo est venu des États-Unis, pas de France… Mais ce que l’on constate, c’est que dans toutes les sociétés occidentales, les violences sexuelles ont longtemps été sous-estimées, ni prises en compte, ni considérées comme un crime en série. Aujourd’hui, les choses ont changé, aux États-Unis comme ici en France. Mais les choses ne changent pas radicalement en sept ou huit ans. L’attitude de la police et de la justice a changé et le viol est considéré comme un crime grave. Pourtant, ce crime grave ne débouche que rarement sur une condamnation. Pour 100 plaintes pour viol, il n’y a qu’environ 7 % de condamnations. C’est pour cette raison que de nombreuses victimes hésitent à s’adresser à la police parce qu’elles ne sont pas sûres que cela en vaille la peine. La principale différence se situe entre les lois françaises et américaines. En France, les peines ne sont pas cumulables même s’il y a des dizaines de victimes. Dino Scala n’a donc eu que 20 ans. Aux États-Unis, il aurait écopé de plus de 500 ans de prison car les peines sont cumulatives.
Que vas tu travailler par la suite?
Je travaille sur une série autour d’un groupe de 11 survivants des attentats du Bataclan à Paris. Il s’agissait des otages qui sont restés enfermés avec deux terroristes qui portaient des gilets anti-bombes et qui ont miraculeusement pu évacuer les lieux après l’arrivée de l’équipe antiterroriste. Je pense qu’il y avait plus de chances de gagner à la loterie que d’en sortir vivant. ce couloir à l’intérieur du Bataclan. La série débutera deux jours après l’attaque, lorsqu’un des otages tente de retrouver les autres et forme un groupe de thérapie qui, au fil du temps, devient une famille. Nous les suivons pendant des années, jusqu’au début du procès des terroristes en septembre 2021.