En automne 1879, la Suisse orientale connaît un essor industriel et culturel. Jakob Rudolf Forster, un marchand de miel de Saint-Gall, se heurte à la répression de son homosexualité, conduisant à son arrestation pour fraude et sodomie. Malgré les humiliations et les internements, Forster se bat pour les droits des homosexuels, défiant les normes sociales de son époque. Son combat et sa détermination laissent une empreinte significative dans l’histoire des droits LGBTQ+.
Un Renouveau en Suisse Orientale
Automne 1879. La Suisse orientale est marquée par une effervescence palpable : les machines à coudre se multiplient, symbole des années d’or de l’industrie textile. Lors de la fête cantonale des tireurs à Flawil, la première lumière électrique éblouit les visiteurs, et au restaurant Hörnli à Saint-Gall, le FC Saint-Gall est fondé, faisant de lui le plus ancien club de football d’Europe.
Le Destin Tragique de Jakob Rudolf Forster
Parmi les personnages de cette époque, on trouve Jakob Rudolf Forster, un marchand de miel et intermédiaire matrimonial originaire de Toggenburg. Fraîchement installé à Saint-Gall après avoir quitté Zurich, ce jeune homme de 26 ans nourrit de grandes ambitions, espérant que ses produits de substitution au miel rencontreront un franc succès et qu’il pourra marier de nombreux clients, ce qui lui apporterait des gains financiers considérables.
Cependant, en novembre 1879, Forster se retrouve en détention préventive pour la troisième fois. Accusé de fraude, de recel et d’escroquerie, il est perquisitionné chez lui, mais aucune preuve ne vient étayer ces allégations. Malheureusement, un petit carnet bleu, enregistré comme son « carnet de l’amant », change le cours de sa vie. Ce carnet contient plus de 140 noms d’hommes issus de diverses classes sociales.
Les autorités commencent alors une enquête approfondie, interrogeant Forster ainsi que ses anciens amants. À cette époque, l’amour entre hommes est considéré comme un crime, et Forster doit défendre son droit à aimer, se battant pour ce qu’il appelle l’« uranisme ». En dépit de ses efforts, il est condamné à 18 mois de prison pour « sodomie contre nature », selon l’article 201 du code pénal du canton de Saint-Gall, un premier pas de nombreux autres jugements à venir en raison de son orientation sexuelle.
Né le 21 janvier 1853 à Brunnadern, Forster grandit dans une famille modeste. Bien qu’il soit un enfant sage, il ne brille pas particulièrement à l’école et il préfère la compagnie des filles à celle des garçons. Cependant, dès son adolescence, il prend conscience de son attirance pour les jeunes hommes, ce qui le préoccupe. Dans son autobiographie, il confie que ses sentiments pour les hommes dépassent de loin l’amitié, suscitant des interrogations sur son identité.
À 24 ans, il rencontre le juriste allemand Karl Heinrich Ulrichs, qui avait plaidé pour la dépénalisation de l’homosexualité. Ce dernier devient une source d’inspiration pour Forster, qui commence à écrire pour éduquer et défendre les droits des homosexuels. Malheureusement, ses nombreuses relations amoureuses et son engagement pour l’éducation sont perçus comme une provocation par les autorités.
Les arrestations se multiplient pour Forster, et il est souvent accusé de « trouble à l’ordre public ». Dans ses écrits, il dépeint les humiliations qu’il subit, y compris des insultes et des conseils macabres d’un directeur de prison. Il est même interné dans un établissement de rééducation pendant un an, ce qui ne fait qu’aggraver son isolement.
Malgré les expulsions et les refus de permis de séjour, Forster ne se laisse pas abattre. Il conteste chaque décision, allant jusqu’à impliquer le Conseil fédéral dans sa lutte pour la reconnaissance de ses droits. Il est également interné en psychiatrie à deux reprises, où son homosexualité est considérée comme une pathologie. Les médecins, en quête de « preuves », le soumettent à des interrogatoires et le cataloguent comme « psychiquement anormal ».
Le combat de Jakob Rudolf Forster pour la reconnaissance de l’amour homosexuel est un véritable parcours du combattant, souvent infructueux. Pourtant, il ne renonce jamais à son identité, répétant inlassablement : « J’étais, je suis et je resterai Urning ». Sa détermination laisse une empreinte indélébile dans l’histoire de la lutte pour les droits des homosexuels.