Par Franck McKenna
Le débat sur la proposition de l’Alberta de créer un nouveau régime de retraite provincial pour remplacer le Régime de pensions du Canada ne doit pas se limiter à l’Alberta. Elle a des conséquences potentiellement catastrophiques pour le reste du Canada et d’autres provinces seront obligées de la combattre bec et ongles.
Le RPC, fondé dans les années 1960, est l’une des grandes réalisations de la politique publique canadienne et un exemple de notre fédération à son meilleur. Il a soutenu des millions de Canadiens et contribué à réduire considérablement la pauvreté chez les personnes âgées.
Ayant contribué à la gestion de la caisse au cours des changements considérables apportés en 1997 pour lui donner une assise financière sûre, on me pose souvent des questions sur le RPC. C’est une source d’envie internationale. D’autres pays, y compris notre voisin du sud, admirent sa gouvernance, désirent sa viabilité financière et convoitent sa contribution à la sécurité de la retraite des Canadiens.
Le gestionnaire de placements de la caisse du RPC, Investissements RPC, gère environ 600 milliards de dollars. Dans le monde des retraites, l’échelle, la taille et la sophistication des régimes de retraite leur permettent d’obtenir des rendements supérieurs, en répartissant le risque entre les zones géographiques et les classes d’actifs. Mais le plus important pour ce débat, son obligation envers toutes les provinces garantit que des freins et contrepoids sont en place, ce qui ne serait tout simplement pas le cas si une seule province contrôlait la gouvernance et les actifs de ses citoyens.
Bien que la frustration des Albertains face à l’état actuel des affaires financières à Ottawa soit compréhensible, considérer le régime de retraite national comme une question de bilan régional pourrait générer des frictions nationales sans précédent qui pourraient opposer l’Alberta à toutes les autres provinces.
En mettant en œuvre un plan provincial, nous pouvons nous attendre à un débat national aux proportions épiques. Trois enjeux me viennent à l’esprit : le quantum, l’administration du régime et la portabilité.
Si l’Alberta devait aller jusqu’au bout de sa revendication, d’autres provinces pourraient emboîter le pas et tenter de retirer leur « juste part » avant que le fonds ne tarisse, ce qui entraînerait d’intenses négociations et une possible dissolution du RPC.
Deuxièmement, la tentative précédente de l’Ontario de créer son propre régime de retraite complémentaire a donné lieu à un processus administratif coûteux et compliqué et a finalement été abandonnée. On peut s’attendre à ce que l’espoir de l’Alberta de bénéficier de la coopération fédérale dans la collecte des cotisations et le versement des prestations suscite encore plus de résistance de la part d’Ottawa et du reste du Canada.
De même, la transférabilité d’un PPA avec le RPC n’est pas garantie et pourrait nuire à la capacité de l’Alberta à attirer des travailleurs externes pour ses grands projets de ressources à forte intensité de main-d’œuvre.
Il y aurait d’autres débats corrosifs à l’intérieur de l’Alberta si un plan provincial était établi. Certains diront que si l’Alberta pouvait se retirer du RPC, les villes devraient alors pouvoir se retirer d’un régime de retraite provincial. Il ne fait aucun doute que les données démographiques de Calgary et d’Edmonton sont plus favorables que celles de la province dans son ensemble, laissant aux Albertains ruraux une plus grande part du fardeau.
Un autre point controversé parmi les Albertains pourrait concerner les instructions fournies au gestionnaire de placements sur l’endroit où les actifs doivent être investis. Un débat approfondi a actuellement lieu au pays quant à savoir si les régimes de retraite canadiens devraient être obligés d’accroître leur position déjà surpondérée au Canada. L’approche du RPC consistant à utiliser son ampleur pour soutenir les investissements mondiaux dans une multitude de catégories d’actifs a donné d’excellents résultats. Les Albertains pourraient être confrontés à un débat difficile sur la répartition des risques, compte tenu de leur exposition déjà importante au secteur des ressources.
L’expérience de l’Alberta Heritage Fund n’incite pas à l’optimisme. Les Albertains veulent-ils vraiment que les fonds de pension soient une tirelire soumise aux calculs politiques du gouvernement en place ?
Au-delà de ces considérations pratiques, une question fondamentale se pose sur ce que signifie être un pays. Le Canada est un vaste pays doté d’un riche patrimoine et de cultures diverses. Sa capacité à parvenir à des accommodements est mondialement admirée, et cela nécessite de forts symboles d’unité.
Le Canada compte plusieurs institutions et infrastructures nationales qui unissent le pays : la route transcanadienne, des services de garde d’enfants nationaux, un système de santé financé par l’État et le RPC. Les Canadiens sont fiers de ces institutions et résisteraient à toute tentative de les fragmenter en fonction des intérêts régionaux. Ils ne veulent pas que le Canada soit un menu à la carte où l’on choisit simplement en fonction de ses propres intérêts.
On peut imaginer l’Île-du-Prince-Édouard attaquer le pipeline Trans Mountain de 35 milliards de dollars, prétendant qu’il ne présente aucun avantage pour les insulaires et voulant récupérer sa part de l’argent. De la même manière, le Manitoba pourrait décider qu’il ne tire aucun avantage des dizaines de milliards de dollars investis dans les usines de véhicules électriques et de batteries en Ontario. D’autres pourraient contester les allégements fiscaux de 10 milliards de dollars accordés au projet Pathways dans les sables bitumineux. La vérité est que tous les Canadiens bénéficient de ces projets et que tous les Canadiens devraient en partager les coûts.