Enluminures d’Arthur Rimbaud


John Ashbery traduisant Rimbaud semble un appariement si logique, voire naturel, qu’il est surprenant que cela ne soit pas arrivé plus tôt. (Faut-il croire Ashbery quand dans les remerciements de sa traduction de Rimbaud Illuminations, il remercie l’éditeur de Norton Robert Weil pour lui avoir donné l’idée ?) Ashbery a dit qu’il avait environ 16 ans lorsqu’il a rencontré pour la première fois la poésie de Rimbaud, ce qui se trouve être à peu près au même moment où Ashbery lisait attentivement la poésie de WH Auden. En 1956, Auden sélectionnera la collection d’Ashbery, Quelques arbres, pour publication dans la Yale Younger Poets Series, et dans son introduction, Auden relierait explicitement Ashbery à Rimbaud (« Rimbaud jusqu’à M. Ashbery », écrit-il) dans ce qu’Auden a qualifié de lignée moderniste de surréalisme introspectif et obscur.

Aujourd’hui, grâce en grande partie (mais en aucun cas entièrement) à Harold Bloom, nous sommes plus habitués à considérer Ashbery comme le porteur de la flamme lyrique et américaine de Wallace Stevens. On a également beaucoup parlé de l’influence profonde et démocratisante de la poésie d’Auden sur le développement d’Ashbery. Mais les Illuminations d’Ashbery, en plus d’éclairer Rimbaud, nous rappellent les connexions françaises d’Ashbery, et en particulier son affinité pour le poème en prose qui occupait une place critique au XIXe siècle. poésie française moderniste. « J’ai toujours pensé que la poésie en prose », a déclaré Ashbery en 1981, « au moins la poésie en prose de Rimbaud ou de Baudelaire, a une qualité littéraire poignante rien qu’en étant de la prose.

Malgré sa production quantitativement mince, Rimbaud, comme l’a souligné Wallace Fowlie, jette une ombre longue sur le 20e siècle, du mouvement surréaliste au punk et au-delà. Il reste une icône populaire, dont le visage quelque peu androgyne et toujours jeune pourrait bien être le portrait le plus reconnaissable d’un poète. Les détails étranges et souvent sordides de la courte vie de Rimbaud, depuis son amant, Paul Verlaine, jusqu’au trafic d’armes en Afrique, donnent un côté attrayant, voire un sens de l’aventure et du danger, à toute image du poète que nous pourrions posséder. . Rimbaud, de toute évidence, n’avait aucun intérêt à poursuivre la poésie comme métier, comme activité créatrice apprivoisée et domestiquée. Au contraire, la poésie était pour Rimbaud, un acte de rébellion profondément personnel, contre sa maison, contre sa ville bourgeoise de Charleville, contre tout ce qui était confortable, et, finalement, contre tout ce qui était raisonnable, modéré, de bon goût.

Pour citer Wallace Fowlie :

Tout ce qu’il observait chez lui encourageait et flattait sa détermination à détruire. Des passages de ses premiers poèmes parlent du désir de Rimbaud d’atteindre l’absolu, de dépasser les restrictions vulgaires de sa vie charlevilloise, dans une région où son esprit sera libre. il reconnaît, en Soleil et chaise , son envie d’explorer et de connaître,

L’Homme veut tout sonder, et savoir…

Mais le caractère raisonnable de sa vie fade lui cache l’infini,

Notre pâle raison nous cache l’infini…

La violence des sentiments de Rimbaud est d’autant plus intense qu’il a la secrète pulsion de découvrir l’unité du monde, de comprendre les correspondances entre la vie de l’esprit et la vie de la matière. [. . .]

« Le dérangement raisonné de tous les sens », telle est la formule de cette méthode et Rimbaud insiste sur sa longueur et son immensité (un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens). Il serait difficile de savoir ce que Rimbaud entendait par dérèglement s’il n’avait expliqué le mot dans le même passage de la Lettre [to Paul Demeny of 15 May, 1871] par les trois expériences d’amour, de souffrance et de folie. Ce sont les aspects de la violence, les dérangements qui entraînent l’âme et la conduisent à l’« inconnu », à cet état de détachement des réalités quotidiennes qui tendent à l’endormir. La violence était pour Rimbaud un régime d’ascèse. [. . .] Pour pouvoir écrire de la poésie, Rimbaud croyait à un mode de vie fait de privations, de chasteté, de jeûne. Dès l’âge de seize ans, et en grande partie par sa propre intuition et grâce à ses propres pratiques et découvertes, la poésie était pour lui une voie de connaissance, un moyen de se connaître et de connaître le monde. Parvenu à cet âge, il connaissait l’importance des prémonitions, des rêves, des phénomènes psychiques qui ont toujours appartenu à la tradition de la poésie. Il a accueilli en lui certaines pulsions qui ont transfiguré son être et sa vie.

–de Climat de violence (1969)

(Dans l’une de ces ironies récurrentes de l’avant-garde historique, on peut supposer que, s’il vivait aujourd’hui, Rimbaud ferait un pied de nez au culte de Rimbaud qui existe au moins depuis le début du 20e siècle, et qu’il aurait rien que du mépris pour l’institutionnalisation de son influence.)

Il serait difficile de lire les traductions d’Ashbery de la Illuminations sans faire de comparaison avec les traductions en anglais qui ont longtemps été la norme aux États-Unis, celles de Louise Varèse publiées par New Directions.

Les traductions de Varèse ont tendance à être plus fluides, comparées à celles d’Ashbery, qui semble vouloir mettre l’accent sur la forme en prose du Illuminations.

Par exemple, voici l’ouverture de ‘Nocturne Vulgaire’ (dont le titre Varèse et Ashbery se traduisent par ‘Common Nocturne’):

Un souffle ouvre des brèches opéradiques dans les cloisons,–brouille le pivotement des toits ronges,–disperse les limites des foyers,–éclipse les croisées

Un souffle ouvre des brèches lyriques dans les murs, brouille le pivotement des toits croulants, disperse les limites des foyers, éclipse les fenêtres.
(Varèse)

Un coup de vent ouvre des brèches d’opéra dans les murs, brouille le pivotement des toits rongés, éparpille les contours des foyers, éclipse les fenêtres à battants.
(Cendrier)

On soupçonne Ashbery de trouver les traductions de Varèse un peu trop poétiques, peut-être un peu trop fluides. Les traductions d’Ashbery comprennent généralement plus de mots que celles de Varèse, et les rythmes d’Ashbery ont également tendance à être moins enjoués. Ashbery utilise nettement moins l’allitération que Varèse. Parfois aussi, Ashbery opte pour un choix de mots plus contemporain. Par exemple, le titre de « Soldes » (simplement « Sale » dans la traduction de Varèse) devient le plus idiomatique (et plus américain) « Clearance » dans la version d’Ashbery.

Après avoir comparé la traduction d’Ashbery à celle de Varèse, je n’ai pas de préférence claire : il y a des aspects que j’aime dans chacune (bien que la traduction de Varèse me semble plus proche du rythme et du ton de l’original). La traduction d’Ashbery ajoute à notre compréhension (ou notre construction) de Rimbaud, et, en dernière analyse, les traductions d’Ashbery et les traductions de Varèse sont autonomes, à part entière. (Il convient d’ajouter que l’introduction d’Ashbery est brève et concise, remarquable principalement pour ses éloges étonnamment extrêmes pour « Genie ». sont toujours valables.) En effet, on pourrait « trianguler » les traductions anglaises des Illuminations en incluant également, à des fins de comparaison, les traductions de Martin Sorrell pour les Oxford World Classics.

Pour la suite de cette critique, j’ai pensé juxtaposer des extraits des traductions d’Ashbery et de Varèse, en commençant par les traductions complètes de « L’Aube »…

Aube (traduit par Louise Varèse)

J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien encore ne bougeait sur la face des palais. L’eau était morte. Les ombres campaient toujours dans la route forestière. J’ai marché, réveillant de rapides respirations chaudes ; et les pierres précieuses regardaient, et les ailes s’élevaient sans un bruit.

La première aventure fut, dans une allée déjà remplie de lueurs fraîches et pâles, une fleur qui me dit son nom.

J’ai ri de la cascade blonde qui s’ébouriffait à travers les pins : sur le sommet d’argent j’ai reconnu la déesse.

Puis, un à un, j’ai levé ses voiles. Dans la ruelle, agitant mes bras. De l’autre côté de la plaine, où j’ai averti le coq. Dans la ville, elle s’enfuit parmi les clochers et les coupoles ; et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je l’ai poursuivie.

Au-dessus de la route près d’un bois de laurier, je l’ai enveloppée dans ses voiles froncés, et j’ai senti un peu son corps immense. L’aube et l’enfant tombèrent à la lisière du bois.

Au réveil, il était midi.

Aube (traduit par John Ashbery)

J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore sur les façades des palais. L’eau était calme. Des campements d’ombres s’attardaient encore le long de la route à travers les bois. Je marchais, réveillant des souffles vivants et chauds, et les bijoux regardaient, et les ailes se levaient sans bruit.

La première entreprise, dans l’allée déjà remplie d’étincelles fraîches et pâles, fut une fleur qui me dit son nom.

J’ai ri de la cascade blonde qui s’ébouriffait à travers les pins : à sa cime argentée, j’ai reconnu la déesse.

Puis j’ai levé les voiles un à un. Dans le chemin, gesticulant. Dans la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. Dans la grande ville elle s’enfuit parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant le long des quais de marbre, je la pourchassai.

Plus haut sur la route, près d’un bosquet de lauriers, je l’ai enveloppée dans les voiles que j’avais ramassés, et j’ai senti, un peu, son corps immense. L’aube et l’enfant tombèrent au fond du bois.

Quand je me suis réveillé, il était midi.

De la fin de « Angoisse »:

Mais la Vampire qui nous fait bien tenir nous ordonne de nous amuser avec ce qu’elle nous laisse, c’est-à-dire d’être plus amusant.

Roulé dans nos blessures à travers l’air et la mer usés ; dans les tourments à travers le silence des eaux et de l’air meurtriers ; dans des tortures qui rient du terrible élan de leur silence.
(Varèse)

Mais le Vampire qui nous fait nous comporter ordonne que nous nous amusions avec ce qu’elle nous fait, ou que nous soyons autrement plus divertissants.

Rouler avec ses blessures, à travers l’air las et la mer ; avec des tourments physiques, à travers le silence de l’eau et de l’air meurtriers ; avec des tortures qui rient, dans leur silence odieux et orageux.
(Cendrier)

De « Jeunesse » partie IV :

Tu en es encore à la tentation d’Antoine. L’ebat du zele ecourte, les tics d’orgueil puerile, l’affaissement et l’effroi.

Tu es toujours à la tentation d’Anthony. Les pitreries du zèle abattu, les grimaces de l’orgueil enfantin, l’effondrement et la terreur.
(Varèse)

Vous êtes encore au stade de la tentation de saint Antoine. Les ébats du zèle mis à l’écart, les tics de l’orgueil enfantin, l’effondrement et la frayeur.
(Cendrier)

De « Scènes »

Des oiseaux des mystères s’abatte sur un ponton de maçonnerie mu par l’archipel couvert des embarcations des spectateurs.

Les oiseaux des mystères fondent sur un ponton de maçonnerie, balancés par l’archipel abrité des bateaux des spectateurs.
(Varèse)

Les oiseaux des jeux mystères fondent sur un ponton de maçonnerie, mis en mouvement par l’archipel à baldaquin des bateaux de plaisance des spectateurs.
(Cendrier)

Extrait de « Soirée historique »:

La même magie bourgeoise à chaque port où le bateau postal nous dépose !
(Cendrier)

La même magie bourgeoise partout où le train postal vous dépose.
(Varèse)

Seulement ce ne sera pas comme un conte de fées !
(Cendrier)

Pourtant, il n’y aura rien de légendaire à ce sujet.
(Varèse)

Du bas »:

Tout se fait ombre et aquarium ardent.

Tout s’est transformé en ombre et en aquarium passionné.
(Cendrier)

Tout est devenu ombre et aquarium ardent.
(Varèse)

De « Métropolitain » :

…l’ondine niaise à la robe bruyante, au bas de rivière; les crânes lumineux dans les plantes de pois…

… idiote Ondine dans sa robe bruyante, au bord de la rivière ; ces crânes lumineux parmi les rangées de pois…
(Varèse)

… la folle sirène à la robe criarde, au fond de la rivière ; les crânes lumineux dans le carré de pois…
(Cendrier)

…et les atroces fleurs qu’on appellerait coeurs et soeurs, Damas damnant de langueur…

… et des fleurs affreuses sans doute appelées amours et colombes, Damas damnant langoureusement…
(Varèse)

… les fleurs horribles qu’on pourrait appeler cœurs et sœurs, la route de Damas accablant sa longueur…
(Cendrier)



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