Docteur Faustus par Thomas Mann


LES LAMENTATIONS DU ROMAN HUMANISTE

Oratorio en cinq parties.

Compositeur: M.

Édition du chef d’orchestre.

Dynamique et Humeur : Mélancolie.

Tonalité: G** mineur.

Lieu: Église Saint-Thomas, Leipzig.

Date: 23 mai 1943.

Durée: Le Sablier déterminera son Heure.

Première: Serenus Zeitblom comme chef d’orchestre.

Chanteurs: Tanya Orlanda (une soprano dramatique et une femme extraordinaire avec une voix héroïque).

Harald Kjoejelund (comme Heldentenor, un homme assez rond avec un pince-nez et une voix de cuivre. (p. 293)

OUVERTURE

JE, John Serenus Zeitblom de Patmos, de Kaisersachsen.

Devra montrer dans cette ouverture un rapide examen de ce qui est à venir. Et je dirigerai la musique des sphères afin que le public sache ce que je suppose, qu’un oratorio a besoin d’un chef d’orchestre compréhensif et fiable s’il veut parler de notre rationalité. Sans moi cette pièce n’aurait aucune cohérence car je suis le médium pour lui donner vie. La musique, comme les romans, a besoin d’un narrateur.

Les violons commencent et les barres de poing sont de la Création de Haydn. Number One est la création de la lumière principale du Chaos suivie par les anges jouant leurs arpèges de harpe. Un ange est désaccordé et je lui signale qu’il doit partir.

Maintenant, nous avons besoin des planètes, et j’invoque Holst pour nous montrer que l’Ordre et le Son sont dans les Sphères. Mais il reste sur les côtés. Attendre.

Mais comme l’ouverture est aussi un avertissement, un avant-goût de ce qui va suivre, j’emprunterai à Verdi et son Macbeth visitant les sorcières. Une musique plus envoûtante est nécessaire et je présenterai ensuite quelques-unes des Valses Mephisto de Liszt dans toute leur sensualité.

PREMIÈRE PARTIE : Un trio d’ordre, d’humanité et d’amour.

La bonté est dans la nature. Et observer la nature est notre approche de la moralité ultime. L’éclat des saisons de Vivaldi mène au Largo de Beethoven dans la Pastorale mais le plus mystérieux est certainement les premières mesures de Mahler convoquant le Naturlaut, les sons de la nature, de sa Première Symphonie.

Pour ne pas oublier qu’il y a une religiosité dans ce phénomène naturel, le chœur entonnera désormais des passages de la chanson d’Hildegarde Liber Divinorum Opéra. Le mysticisme comme une autre voix. Pour renforcer son propos, Holst vient enfin au premier plan avec son Neptune, la planète mystique, et nous entendons les sons célestes de son célesta accompagnés des harpes des anges de Haydn.

Avec l’environnement parfait maintenant créé, la Viola d’Amore se présente et jouera en tant que soliste menant au Duo pour Adam et Eve du troisième acte de la Schöpfung. Ils sont les premiers témoins des merveilles et pour cela ils chantent : Alors Wunderbar. L’amour au paradis. Y a-t-il une meilleure chose?

Holst revient sur le devant de la scène avec sa Vénus aux douces passions harmoniques. Il y a aussi une dimension planétaire à l’amour paradisiaque.

De façon inattendue, des tonalités sombres entrent en crescendo, et Haydn avertit le couple, par l’intermédiaire de son ange, des dangers de vouloir aller au-delà des connaissances qui leur ont été données.

L’humanité est alors officiellement lancée et est libre de procéder et de créer sa culture, toujours à la recherche d’une plus grande lumière.

DEUXIÈME PARTIE : La barbarie rôde et l’amour est affecté.

Le bonheur n’est pas seulement l’amour, et Mozart nous emmène au temple de la Sagesse dans sa Zauberflöte. Les Lumières se posent comme le sommet de l’Humanisme. Dans son Temple de l’épreuve, Mozart invoque l’hymne de Lüther Ach Gott, vom Himmel sieh darein (Oh mon Dieu, regarde du ciel) alors qu’un autre Adam et Eve entrent dans le Temple de la Lumière et de la Sagesse.

Car l’amour a traversé les âges et il est puissant. Dans La Damnation de Faust de Berlioz Marguerite chante la belle D’Amour l’ardente flamme. Mais la dissonance menace les concordes comme l’amour est menacé par l’adultère, la prostitution et la jalousie. L’Othello de Verdi prouve comment les bienheureux peuvent être égarés et qu’une seule mélodie harmonique peut se briser, Diceste questa sera le vostre preci (Avez-vous fait vos prières ce soir)? » On pourrait être condamné par le diable avec « Vous ne pouvez pas aimer. L’amour vous est interdit dans la mesure où il réchauffe. Votre vie sera froide – par conséquent, vous ne pouvez aimer aucun humain. (p. 264) ) De quel genre de punition s’agit-il ?

La dissonance vient du rétrécissement de l’esprit humain, et le nationalisme se cache avec ses frontières limitantes. La paix doit être internationale si elle veut l’être. Si l’on oublie Haendel, le grand internationaliste, né en Allemagne mais qui a beaucoup appris de sa musique au pays des arts, incorporé des éléments du pays de la beauté, puis développé ses compositions dans une autre cour, nous pourrions tomber et laissons-nous conduire par la conjuration nationaliste dans sa quête diabolique du pouvoir. Les forces internationales qui dirigent et maintiennent la paix peuvent être oubliées.

Stravinsky met-il en scène la barbarie dans les danses démoniaques de la Terre dans son Sacre du printemps alors qu’il explore les tendances nationalistes ? Le nationalisme est-il prêt à faire n’importe quel sacrifice ? Notre culture s’est-elle éloignée de la Primavera de Vivaldi lorsqu’elle a cessé de rechercher la beauté ? Ou est-elle plus libre des clichés bourgeois ?

Ethique, Amour, Esthétique, Paix, Moralité et Créativité… Vous ne pouvez pas tous les avoir. Quelque chose doit être sacrifié.

TROISIÈME PARTIE : Rébellion contre l’Ordre – le Diable.

Une série de septièmes diminuées, qui ne conduisent pas à une tonalité donnée mais qui permettent de s’arrêter où bon vous semble, introduit cette partie.

Mais on peut avoir besoin d’un sorcier pour donner un sens à ces invocations, et nous invitons à nouveau Holst avec son Uranus, le magicien. À la planète de Holst, nous ajoutons un chœur. A, une danse avec le sabbat des sorcières de Méphistophélès d’Arrigo Boito fournit le meilleur accompagnement.

Car quelle liberté y a-t-il dans la création artistique ? Peut-on nier sa tradition et ses compositions préexistantes ? Les nouvelles créations ne sont-elles pas des variantes d’un thème donné ? Combien de fois la légende de Faust est-elle recréée ? Que peut faire un chef d’orchestre pour ordonner le son des différents instruments et imposer une certaine rationalité ? Le chef d’orchestre est-il une sorte de Führer dans ce chaos ? Qui a dit que l’auteur était mort ?

Je me sens perdu au milieu de tous mes doutes et je dois m’accrocher au podium.

La langue est-elle éternelle ? l’art est-il éternel ? Paul Celan a dit qu’après l’Holocauste, aucune poésie n’était possible. La langue est-elle internationale, oui, mais quelle langue ? Quelle est la portée qu’un livre en allemand peut avoir lorsqu’il est publié dans un pays où cette langue n’est pas parlée ? Le langage peut-il représenter l’enfer ? Dante s’en pose comme poète. Mais Thomas Mann ne le pense pas, même s’il cite Dante dans sa page de titre.

Y a-t-il une rébellion contre la beauté ou la créativité fuit-elle simplement le banal ? Les beaux jours du Roman sont passés, ou bien s’échappent-ils du sentimental ? Peut-être que les mélodies harmoniques émotionnelles doivent s’arrêter et nous devons revenir au contrepoint froid et précis. Faut-il rompre avec le cercle des quintes et avec les récits clos ?

L’irrationalité est-elle le chemin de la liberté ?

QUATRIÈME Partie : L’Enfer est là où se trouve le Diable. Déchu.

Nous entrons dans cette partie avec une série de Tritones, le Diabolo en musique telle qu’elle est perçue au Moyen Âge. C’est encore choquant à nos oreilles et le public est audiblement agité dans leurs sièges. C’est un contrepoint déformé. Mais nous ne sommes pas seuls. Accompagnés d’Orphée, nous descendons aux Enfers… Gluck, Offenbach, Monteverdi, et d’autres nous conduisent.

Mais malgré leur aide, j’ai besoin de lancer les dés et de faire signe aux joueurs. A chaque fois, nous interprétons différentes variations du répertoire passé, et la constellation de compositions diaboliques et méphistoféliennes, peut être jouée successivement ou de manière contrapuntique pour laisser toutes les dissonances possibles créer un nouvel ordre.

Car trop d’ordre nous rappelle le Nationalsozialismus.

Smetana, Gounod, Boito, Berlioz, Moussorgski, Schumann, Mendelssohn, Mahler, Prokofiev, Bussoni… Ils sont tous invoqués pour tous joué le thème de Méphisto.

Mais si nous tombons, alors nous avons besoin du Requiem de Britten. N’oublions pas que les guerres ont aussi une tradition et il y a certaines régions du monde qui semblent avoir une porte d’Hadès. Pensez aux Balkans, ou aux îles du Pacifique, ou… à la mer Noire.

Après une cacophonie de Méphistos, on peut alors plonger dans les 4’33 » de Cage, où seul le temps, avec sa durée exacte et limitée, offre soit un renouveau, soit une damnation. Que peut faire le chef d’orchestre ? Continuez à cocher la bâton? Où sont les émotions ? Est-ce que cela nous ramène au Moyen Âge ?

Qui a dit que l’enfer était la perte de la créativité ?

CINQUIÈME partie : Sur le châtiment et la pénitence.

Il nous faut un avertissement, un avertissement fatal et le Commendatore de Mozart est ramené à nouveau dans toute sa pierrosité. Suffira-t-il à réveiller notre expiation, notre Contrition?

Devons-nous en finir avec un Götterdämmerung et accueillir la destruction ou avons-nous de l’espoir et pouvons-nous invoquer la Neuvième de Beethoven ?

Je choisis ce dernier, et une dominante secondaire en A pour Art et Amor conduit à un G cadential pour Grâce et Bonté.

Amen.



Source link