À QUELLE HAUTEUR NOUS ALLONS DANS LE NOIR
Par Sequoia Nagamatsu
Comment réagissons-nous à la dévastation auto-fabriquée de l’Anthropocène ? Avec humour noir ? La résistance? Colère? Le premier roman émouvant et stimulant de Sequoia Nagamatsu, « How High We Go in the Dark », a une réponse : avec le deuil.
Dans un futur proche, des scientifiques enquêtent sur une Sibérie qui fond à cause du changement climatique comme si « un dieu avait décompressé les marais enneigés ». Mais un cadavre néandertalien déterré cache quelque chose à l’intérieur : un virus catastrophique. La «peste arctique» qui en résultera transformera le monde. Les humains construisent des parcs d’attractions d’euthanasie et des gratte-ciel funéraires. Ils réparent des animaux de compagnie robotiques qui parlent pour les morts ou se retirent dans des mondes de réalité virtuelle. Le chagrin et la perte imprègnent chaque page d’une manière qui résonne avec notre moment sans se sentir submergé par celui-ci. (Nagamatsu a publié plusieurs de ces chapitres des années avant l’émergence de Covid.)
Si vous remarquez que mon résumé ne nomme pas les personnages, c’est parce que ce roman-en-histoires présente différents narrateurs et paramètres dans chaque chapitre. Si vous êtes un amoureux des nouvelles – comme moi – vous serez impressionné par le travail méticuleux de Nagamatsu. Si vous avez envie de personnages soutenus et d’arcs d’intrigue, eh bien, vous devrez vous contenter d’admirer la prose bien rodée, les méditations poignantes et les concepts uniques. A peine de petits plaisirs.
Le lecteur pourrait mieux aborder le livre comme une saison mélancolique de « Black Mirror ». Des chapitres avec des titres comme « Elegy Hotel » et « 30 000 ans sous un éloge funèbre » centrent chacun des conceptions discrètes et inventives alors même qu’ils se déroulent dans le même monde. Dans « Pig Son », un scientifique accablé de chagrin se lie avec un cochon artificiel qui apprend à parler tout en cultivant des organes pour des enfants mourants. C’est un livre beau mais sombre. L’humanité s’est longtemps tournée vers l’humour dans nos moments les plus sombres, mais la légèreté semble absente même dans un chapitre raconté par un comédien de stand-up. Cela dit, le ton sombre unifie les personnages et les intrigues disparates.
« How High We Go in the Dark » est un ajout bienvenu à une tendance croissante de ce que nous pourrions appeler « l’épopée spéculative »: des romans de genre qui utilisent une grande ouverture pour s’attaquer à de grands problèmes comme le changement climatique tout en sautant entre les personnages, les chronologies et même des modes narratifs. Certains exemples récents ou à venir incluent « Appleseed » de Matt Bell, « To Paradise » de Hanya Yanagihara, « Cloud Cuckoo Land » d’Anthony Doerr et « Sea of Tranquility » d’Emily St. John Mandel. Le ur-texte pourrait être « Cloud Atlas » de David Mitchell, avec ses récits imbriqués s’étendant du 19ème siècle à un futur dystopique. Pourquoi cette forme parle-t-elle à aujourd’hui ? C’est peut-être une réaction naturelle à la tendance de l’autofiction de la dernière décennie, avec son réalisme pur et sa subjectivité étroite. Ou peut-être est-ce parce que les problèmes auxquels nous sommes confrontés semblent si accablants que seule une vaste toile imaginative peut commencer à les aborder.
Le «genre-bending» peut déclencher des alarmes pour les lecteurs de science-fiction et de fantasy qui supposent – souvent à juste titre – qu’un auteur littéraire est félicité pour saupoudrer d’éléments de genre dans une œuvre sans réel investissement en eux. Ce n’est pas le cas ici. Nagamatsu atteint carrément les cibles «littéraire» et «science-fiction», offrant des aperçus psychologiques de la prose lyrique tout en explorant sérieusement les vanités spéculatives.
Comment résoudre une mosaïque aussi vaste ? Nagamatsu tente une approche intéressante. Deux dernières histoires élargissent encore plus la portée: une envoyant l’humanité dans le futur sur un vaisseau de génération à la recherche d’un nouveau départ, et une autre atteignant le passé cosmique pour expliquer mystiquement nos origines. J’ai trouvé le premier plus réussi que le second. Mais finalement ce sont les petits moments humains qui s’enfouissent dans le cœur du lecteur. Dans un parc d’attractions pour enfants mourants, un employé regarde la mère d’un garçon « lui donner un dernier câlin et une gorgée de sa bouteille de jus avant de sortir une seringue ». Ailleurs, un homme solitaire tombe amoureux d’une femme dans le métavers qui « parle de la vie, malgré la tristesse ». « How High We Go in the Dark » est un livre de chagrin pour la destruction que nous nous apportons. Pourtant, le roman nous rappelle qu’il y a encore de l’espoir dans les relations humaines, malgré notre tristesse.