PANIQUE, de Barbara Molinard, traduit par Emma Ramadan
MAUVAISE ÉCRITURE, de Sara Mesa, traduit par Katie Whittemore
Virgil, Emily Dickinson, Franz Kafka : C’est devenu un cliché, les auteurs sur leur lit de mort demandant la destruction de leurs inédits (demandes que les exécuteurs littéraires ont l’heureuse habitude de trahir). Mais la prolifique écrivaine française du XXe siècle Barbara Molinard ne voulait pas prendre de tels risques, déchirant ses nouvelles en lambeaux dès qu’elle les écrivait. Les contes malveillants et désorientants de sa collection de 1969, « Panics », représentent son seul travail survivant. Sauvés de la destruction par l’amie de Molinard, Marguerite Duras, qui estimait que ces 14 nouvelles représentaient « peut-être un centième » de ce qu’écrivait Molinard, elles ont été traduites pour la première fois en anglais, par Emma Ramadan.
Les personnages de Molinard sont hantés, confus, errant comme dans un brouillard, oubliant qui ils sont et où ils sont censés être. Un homme se rend dans une ville lointaine pour une réunion et se perd immédiatement ; incapable de se rappeler où se déroule la réunion ni de quoi il s’agit, il passe des mois à marcher le long d’un mur d’enceinte, espérant que cela le ramènera à lui-même, ou du moins dans une direction vers l’avant. Une femme passe sa journée à préparer frénétiquement l’arrivée d’un avion le soir, se précipitant à l’aéroport pour être là quand il atterrira. Elle regarde défiler les passagers, puis rentre seule chez elle, sachant que « demain il faudrait recommencer, inventer autre chose » pour se distraire et se débrouiller dans les heures creuses.
À travers la traduction dépouillée et exigeante de Ramadan, Molinard dresse un portrait terrifiant de la violence et de la maladie mentale. Le lecteur est entièrement immergé dans l’esprit de ses personnages, ne voyant le monde qu’à travers leurs regards déformés – « noyés dans le rêve », comme Molinard décrit une femme – sans prise sur la réalité extérieure. Ces histoires surréalistes et claustrophobes présentent des similitudes avec les œuvres de Samuel Beckett et Leonora Carrington, mais Molinard écrit d’une voix qui lui est entièrement propre. Il est impossible de ne pas laisser la biographie de l’auteur saigner dans la lecture des « Paniques », selon Duras ces récits ne sont « ni inventés ni rêvés », mais « un témoignage du vécu », de l’obscure affliction mentale qui a conduit Molinard à répéter pendant des années son « cycle infernal » de création et de destruction. Ses histoires n’ont été écrites pour aucun lecteur. Leur existence ressemble à un miracle. En les rencontrant, on a le sentiment que l’on entrevoit quelque chose d’intensément privé, sans intermédiaire, une âme en angoisse.
Les nouvelles de « Bad Handwriting », un nouveau recueil de l’écrivaine espagnole Sara Mesa, dépeignent un monde tout aussi hostile et étouffant. Ses personnages sont pour la plupart des jeunes, menant des vies ordinaires. Une narratrice se décrit comme vivant « dans une ville moyenne d’un pays modérément développé, dans un quartier normal comme tant d’autres quartiers indiscernables et interchangeables, la vaste périphérie ouvrière ». Mais sous ce vernis de normalité, il y a un ressac de souffrance profonde qui n’est pas seulement interne, comme dans l’œuvre de Molinard, mais aussi dans le monde, qui se profile aux marges de la société, un poison qui s’infiltre dans le banal.
Dans les histoires de Mesa, les petits drames de la jeunesse se déroulent dans un contexte où les parents abandonnent leurs enfants et les grands-mères veuves se jettent du balcon. Les jeunes mentent et s’en prennent plutôt que de révéler leur honte face aux choses effrayantes dont ils ont été témoins. Dans une histoire, une adolescente blanche, incapable de traiter ou de partager le fait qu’elle a vu sa sœur enceinte tuer un homme, se retrouve à avoir des pensées racistes à propos du directeur noir de l’auberge où elle séjourne; dans un autre, un enfant orphelin fantasme que sa tante oppressive va mourir violemment. Mesa rend ces erreurs avec une force délicate, animée par la conscience que la cruauté se cache dans les petits gestes et les vaines pensées ; que, comme un virus, il mute et se propage.
PANIQUE, de Barbara Molinard | Traduit par Emma Ramadan | 153 pages | La presse féministe | Papier, 15,95 $
MAUVAISE ÉCRITURE, de Sara Mesa | Traduit par Katie Whittemore | 168 pages | Lettre ouverte | Papier, 15,95 $
Charlie Lee est rédacteur en chef adjoint au Harper’s Magazine.