Dans son premier film, Perfumed With Mint, le directeur de la photographie égyptien Muhammed Hamdy, lauréat d’un Emmy, réalise une œuvre surréaliste visuellement captivante mais narrativement langoureuse qui capture le mécontentement générationnel. Coincée entre les images saisissantes des salves d’ouverture et de clôture, on observe une stagnation du sens et de la forme, qui dure pendant de longues périodes – ce qui est regrettable, même si cette stagnation est, en substance, le but. Bien qu’il soit peu probable que le film retienne l’attention des spectateurs les plus indulgents tout au long de sa durée de diffusion, il présente néanmoins l’une des poésies visuelles les plus séduisantes de toutes les œuvres présentées au Festival du film de Toronto de cette année, sous la forme d’une élégie ravissante pour les morts.
Au travers de plans latéraux progressifs de plusieurs minutes, la caméra de Hamdy plane au-dessus des feuilles de menthe près du sol, tandis que des prières et des murmures discrets enveloppent son paysage sonore. Ce prologue étrange et absorbant cède bientôt la place à l’introduction méthodique de Bahaa (Alaa El Din Hamada), un médecin découragé qui traite une femme d’âge moyen pour ce qu’elle décrit comme une incapacité à laisser partir son fils mort – dont elle voit l’esprit partout où elle regarde. Les longs plans de Hamdy capturent ici un sentiment de crise spirituelle et de personnes totalement perdues et à la dérive face à la mort.
Le film ne revient toutefois sur cette révélation prudente des cœurs angoissés qu’à la fin. En attendant, il raconte une histoire étrange et fantasmagorique qui se déroule dans les ruelles abandonnées de Ciaro, où Bahaa et son ami Mahdy (Mahdy Abo Bahat) – un homme troublé qui fait pousser des feuilles de menthe dans ses cheveux – s’enfuient des ombres désincarnées qui les pourchassent. Cette maladie de la menthe est courante chez les jeunes du Caire et semble atténuée par la consommation de haschisch, ce qui conduit à un deuxième acte prolongé dans la lignée d’une comédie acerbe de stoner, bien qu’enveloppée d’une utilisation magnifique et évocatrice de la lumière qui traverse les fenêtres et de l’obscurité totale, accentuant à la fois les espaces et le vide.
Bahaa est aussi un homme en mal d’amour, et il porte toujours avec lui une précieuse lettre qui, après avoir été mouillée il y a quelque temps, ne semble jamais sécher. Les cicatrices du passé se manifestent toutes à travers un réalisme magique subtil, alors que les personnages s’assoient et fument en attendant simplement de se déplacer sans se faire repérer d’un endroit à un autre.
L’art de créer des ambiances est une arme à double tranchant. D’un côté, même les spectateurs qui ne sont pas du tout familiers de la politique égyptienne moderne pourront tirer un sens de ses images. Il s’agit de personnages qui, à l’approche de la cinquantaine, ont perdu tout espoir en l’avenir et continuent de fuir les fantômes fascistes qui les envahissent. Ils préfèrent atténuer leur douleur par l’ivresse plutôt que d’affronter les morts. « Parfumé à la menthe » est, de cette manière, une œuvre profondément politique qui invite parfois à la curiosité de loin. Pour ceux qui s’y connaissent, elle reflète l’épuisement total de la génération post-printemps arabe qui a troqué par inadvertance un tyran pour un autre – Mohamed Morsi pour Abdel Fattah el-Sisi – et qui n’a pratiquement pas cessé de protester depuis.
D’un autre côté, ce mécontentement las est si clairement exprimé qu’il n’est pas difficile de se mettre sur la longueur d’onde du film dès le début, et à partir de ce moment, le film explore rarement sa propre imagerie ou ne se transforme que rarement en sens. Ses longues pauses sont poétiques et se résument à des conversations retirées et monotones à connotation politique, mais tout le monde semble parler des mêmes sujets d’une scène à l’autre. Certains personnages proposent des apartés poétiques, mais ceux-ci s’inscrivent dans une exploration monotone de l’humeur nationale et culturelle.
Mais dans les scènes calmes et culminantes, « Parfumé à la menthe » parvient enfin à réaliser les transformations esthétiques et thématiques qui lui manquaient. Le fait que Hamdy ait créé un film comportant autant de temps perdu semble étrangement approprié à une histoire qui rumine exactement cette notion et la façon dont elle vide les gens. Lorsqu’il s’épanouit dans son acte final, il le fait à travers des enquêtes visuelles émouvantes, rigoureuses et pleines de tension sur ce qui advient des jeunes lorsque leurs blessures spirituelles ne sont pas autorisées à guérir et lorsque leurs appels à l’action semblent plus atténués et plus distants à chaque mouvement politique qui passe. C’est un film qui exige une patience profonde et méditative, mais l’attente en vaut largement la peine.