Critique de livre : « Violeta », d’Isabel Allende

VIOLETTE
Par Isabelle Allende
Traduit par Frances Riddle

« Dans ce pays, il y a toujours des calamités, et il n’est pas difficile de les relier à un événement de la vie », écrit Violeta, 100 ans, à une figure ténébreuse du nouveau roman d’Isabel Allende. Violeta pourrait tout aussi bien décrire l’épopée épistolaire qui encadre sa propre vie, elle aussi pleine de calamités : la dissolution d’une fortune familiale, un mariage tumultueux entrecoupé d’aventures amoureuses, les machinations de la famille et des amis pendant un siècle, le tout contre bouleversements politiques dans son pays natal, un pays latino-américain sans nom.

Accroché par les pandémies – la grippe espagnole et la crise du Covid – « Violeta » relate un réveil féministe au milieu de forces répressives jumelles, l’État et la sphère domestique, dans des passages dont l’ampleur est ponctuée de dialogues explicatifs parfois guindés. Lorsque Violeta laisse tomber un rappel subtil de « La Maison des esprits », révélant qu’elle est liée à son protagoniste, on pourrait avoir envie des détails inventifs qui ont fait du premier roman d’Allende une icône de la littérature latino-américaine post-boom : « Grand-mère Nívea… avait a été décapitée dans un terrifiant accident de voiture et sa tête a été perdue dans un champ ; il y avait une tante qui communiait avec les esprits et un chien de la famille qui grandissait et grandissait jusqu’à ce qu’il atteigne la taille d’un chameau. Ce roman renonce à de telles chimères au profit du réalisme des titres dans une traduction stylistiquement simple; il n’y a plus de chiens de chameau, seulement le regard absolument sans sentimentalité de Violeta alors qu’elle raconte la brutalité d’un coup d’État fasciste, son angoisse face à la disparition de son fils, un exil politique, et sa relation tendue avec son père – qui, elle découvre plus tard, peut avoir eu un coup de main dans les deux.

Cette section médiane, la plus forte du roman, relate les événements qui ont conduit à la dictature dans un pays comme le Chili, avec un dictateur comme Pinochet, dans une prose inébranlable et aérée qui se concentre sur les tensions de classe et de genre qui se jouent dans la vie quotidienne. Violeta offre des sursis humoristiques et des ruminations sans fioritures – elle n’aime pas les enfants (« la seule bonne chose à propos des enfants est qu’ils grandissent vite »), en veut aux hommes dont le « succès peut lui être attribué » (« alors qu’il faisait des recherches, expérimentait , écrivait … J’ai pris en charge les dépenses domestiques et j’ai économisé »), trouve le mariage étouffant (« aussi simple que la vie dans un couvent ») et déplore le double langage qui la qualifie de « femme adultère, de concubine, d’amante capricieuse ».

Lorsque Violeta considère enfin sa propre collusion passive avec le régime, ayant amassé des richesses et mené une vie confortable alors qu’un pays saignait autour d’elle, j’ai souhaité un peu de la même perspicacité. L’objectif naïf, parfois colonialiste, de Violeta se traduit par un romantisme téméraire : « Le mélange des races est très attrayant », écrit-elle sérieusement, à propos d’une connaissance métisse. Elle loue le travail missionnaire de son petit-fils au Congo « dans une communauté qui n’était qu’un tas d’ordures avant d’y arriver », et tout en admettant son ignorance (« Je ne connaissais rien à l’Afrique… j’étais incapable de distinguer un pays d’un un autre ») ne reconnaît pas le saviorisme et l’essentialisme derrière ses louanges. Le calcul de Violeta conduit au développement d’une fondation pour soutenir les survivants de la violence domestique – mais une conclusion selon laquelle « si vous voulez vraiment aider les autres, vous allez avoir besoin d’argent » est une logique circulaire qui ressemble à une offrande aqueuse sur un sang- autel trempé, une pointe des pieds tranquille hors de la page après un rendu soigné des cimetières politiques qui hantent la psyché de l’Amérique latine.

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