lundi, décembre 23, 2024

Charlebois : Le cœur de porc transplanté chez l’homme pose de nouveaux défis éthiques

Lors d’une intervention chirurgicale sans précédent le 7 janvier, un Américain de 57 ans souffrant d’une grave maladie cardiaque a subi une transplantation cardiaque avec un cœur de porc génétiquement modifié. Quelques semaines plus tard, le patient se porte toujours bien, selon les rapports. Cette première chirurgicale, réalisée par une équipe de la faculté de médecine de l’Université du Maryland, illustre la faisabilité d’une transplantation cardiaque porc-humain, une procédure rendue possible par de nouveaux outils d’édition de gènes. La science nous a donné la xénotransplantation grâce à l’édition de gènes.

La production agricole contribue à nourrir les humains depuis la nuit des temps. Elle a aussi développé de nouvelles vocations au fil des ans, comme par exemple l’industrie de l’énergie. Maintenant, certains chercheurs envisagent la production animale pour aider notre secteur de la santé, qui a cruellement besoin d’organes. À tout moment, il y a entre 4 000 et 5 000 personnes en attente d’un organe au Canada. Et chaque année, entre 200 et 250 personnes au Canada meurent en attendant une greffe d’organe. Pour le patient du Maryland, la xénotransplantation était la seule option car la mort l’attendait. La xénogreffe peut sauver des vies, on le sait maintenant, mais certains se poseront sûrement des questions sur l’aspect éthique et moral d’élever des animaux pour produire des organes destinés à sauver des vies humaines.

Dans le Maryland, l’université a obtenu une autorisation d’urgence de la Food and Drug Administration américaine une semaine avant l’opération, dans le cadre de son programme d’utilisation compassionnelle. Quelques jours plus tard, le cochon donneur, élevé dans un milieu hyper aseptisé, était abattu pour en extraire le cœur. La science peut être incroyable. Il est probable, cependant, que le concept d’un porc génétiquement modifié, conçu pour produire un organe compatible pour un patient humain, mettra certains mal à l’aise. La science est réelle et un débat est justifié.

Les discussions sur la xénotransplantation sont en cours depuis des années, mais c’est vraiment la première fois que nous avons une opération réussie en modifiant la génétique d’un porc pour augmenter les chances de compatibilité. Pendant des années, des reins de chimpanzés ont été transplantés chez certains patients humains, voire un cœur de babouin chez un bébé, mais la période de survie n’a jamais dépassé quelques mois.

Après une série d’échecs, la communauté scientifique a temporairement abandonné la xénotransplantation jusqu’à ce que les porcs soient considérés. La production porcine se prête mieux à la xénotransplantation puisqu’il est possible d’obtenir un organe de taille adéquate en six mois. De plus, plusieurs patients ont déjà reçu des valves et d’autres pièces de porcs dans le passé, avec des résultats positifs. Ce n’est pas nouveau, mais greffer un organe entier de porc est sans précédent.

Mais avant de juger et de condamner la pratique en tant que telle, il faut se poser la question égalitaire des greffes.

Un aspect caché des greffes est lié aux groupes racialisés. Une personne noire, asiatique ou autochtone est moins susceptible d’obtenir un don d’organe qu’une personne blanche. Les maladies chroniques, la génétique et les antécédents sanguins rendent plus difficile pour eux de trouver un donneur. Avec l’édition de gènes animaux pour soutenir la xénotransplantation, il est scientifiquement plus probable de produire un organe compatible pour tout le monde, quelle que soit la constitution génétique de la personne dans le besoin. En d’autres termes, la xénotransplantation a le potentiel de démocratiser davantage le don d’organes.

En bref, la xénotransplantation soutenue par l’édition de gènes offre à l’humanité un système de don d’organes sur mesure. Mais cette pratique amène aussi son lot d’autres interrogations, notamment par rapport au traitement éthique des animaux. Il y a aussi toujours le risque de transmettre certains virus porcins à l’homme. À la lumière de la pandémie que nous vivons tous depuis près de deux ans, ce n’est pas une mince affaire. Nous ne savons pas grand-chose des pratiques d’édition génétique appliquées au porc qui permettent au cœur d’arrêter de croître une fois à l’intérieur du corps humain. L’entreprise à l’origine de la technologie, Revivicor, reste discrète. Nous ne savons pas non plus trop ce qui est arrivé à la carcasse du porc donneur.

C’est une discussion collective qui en vaut la peine. Revivicor aurait au moins pu donner au cochon un nom symbolique, comme l’ont fait des chercheurs britanniques avec Dolly, la fameuse brebis clonée. Après tout, le cochon est le vrai héros ici.

Prof. Sylvain Charlebois est Directeur principal du Laboratoire d’analyse agroalimentaire de l’Université Dalhousie.

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