Après s’être remis d’un problème de santé prolongé et nouvellement installé en Europe occidentale, le cinéaste russe Andrey Zvyagintsev est revenu sur la scène internationale au Festival du film de Marrakech cette année. Mieux encore, le réalisateur des films nominés aux Oscars « Loveless » et « Leviathan » va bientôt revenir derrière la caméra, alors qu’il prépare le drame oligarchique « Jupiter », son premier film réalisé en dehors de son pays natal. Variété s’est entretenu avec le cinéaste à Marrakech.
Après cet intervalle important entre « Loveless » en 2017 et le tournage de l’année prochaine, avez-vous l’impression de reprendre là où vous vous étiez arrêté ou de recommencer ?
Pour être honnête avec vous, j’espère repartir de zéro. Même si c’est extrêmement difficile à exprimer, je suis absolument convaincu que j’ai de nouvelles sensibilités et que je suis à une nouvelle étape de ma vie. En tout cas, je suis absolument certain que cette nouvelle sensibilité n’est pas seulement liée au passage du temps. Les événements de ma vie ont tellement changé depuis « Loveless », et moi-même j’ai changé aussi. Je ne peux pas vraiment le décrire, mais je suis sûr que cette nouveauté se reflétera dans mon prochain film.
Comment ça?
Le film sera sans doute plus verbeux [than my previous work]. Certains films sont quasi muets, mais les visuels nous parlent. Nous lisons le texte et le sous-texte à travers les images à l’écran. Et puis de l’autre côté, à l’autre bout du spectre, il y a les films d’Eric Rohmer, qui sont particulièrement bavards. Jusqu’à présent, je n’ai pas essayé d’éviter ce dernier style, j’ai juste préféré avoir une position d’observateur quelque part entre les deux extrêmes. Maintenant, je n’exclus pas que ce prochain film soit peut-être un peu plus proche d’Eric Rohmer, et que j’appellerai probablement les choses par leur nom plus qu’avant.
Votre vision de votre pays d’origine a-t-elle changé depuis votre déménagement à l’étranger ?
La force d’inertie maintient mon esprit là, même si mon corps est ailleurs. Je vis désormais en France, mais j’ai vécu si longtemps en Russie que j’ai l’impression, d’une certaine manière, de continuer à y vivre. Je continue de respirer en Russie, je continue de ressentir le contexte russe, et donc je sais que je peux continuer à témoigner de cette société, même si je n’y suis plus. D’autant que l’idée de mon prochain film est née il y a plusieurs années, alors que j’étais encore là-bas. Ce que je ne sais pas en revanche, c’est quand viendra le moment où je considérerai que je ne peux plus témoigner de la société russe. Quand cela se produira, je ne le sais pas, mais ce ne sera pas le cas maintenant.
Que pouvez-vous nous dire de plus sur « Jupiter » ?
Donc ce que je peux vous dire, c’est que je compte tourner au printemps 2024, en avril, mai, juin, et sans doute qu’il me restera encore quelques scènes à faire à l’automne. Je tournerai en France, je tournerai en Espagne, à Palma de Majorque. C’est là que j’ai repéré l’endroit où je voulais tourner. Et donc, en ce qui concerne le contenu du film, nous allons plonger dans la vie d’un homme très riche, dans sa vie intime, dans les conditions dans lesquelles il vit. Nous allons nous plonger dans sa famille.
Il y a lui, sa femme, son enfant, et il y aura une quatrième personne. Mais je ne dis jamais à l’avance de quoi parle le film, car je veux qu’il reste une surprise pour le spectateur. J’aimerais que le spectateur découvre le film comme s’il ouvrait une boîte. Et donc c’est compliqué de vous dire autre chose que ça. Il s’agit de cette vie d’oligarques. Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous allons rester dans une mentalité russe. En tout cas, il est dans un contexte de patriarcat, un patriarcat qui est aussi très particulier parce qu’on est dans un autre monde. Il n’est pas à la maison ; il est aussi en Europe.
En tout cas, nous sommes ravis de vous voir faire mieux et avons hâte de voir le prochain film.
Oui moi aussi!