Contenu de l’article
«Est-ce que Trudeau saura quand le moment sera venu de partir?» était le titre de l’analyse rédigée par le chef du bureau de La Presse sur la Colline du Parlement. Dans une tribune publiée mardi dernier, Joël-Denis Bellavance, journaliste averti, a émis l’hypothèse que le premier ministre pourrait profiter de ses vacances au Costa Rica pour réfléchir à son avenir. Si, comme certains s’y attendent, Justin Trudeau décide de ne pas briguer un quatrième mandat, les perspectives de son parti au Québec pourraient s’assombrir.
Publicité 2
Contenu de l’article
Les derniers chiffres de la firme de sondage Abacus sont inquiétants pour les libéraux. Les conservateurs, sans chef depuis des mois, devancent les Grits de cinq points. La popularité personnelle de M. Trudeau s’affaiblit; avec 51 % d’impressions négatives, le premier ministre est dans une aussi mauvaise situation que lors du scandale SNC-Lavalin il y a deux ans. Si une telle situation persiste, la pression sera forte sur M. Trudeau pour qu’il parte avant qu’il n’inflige davantage de dommages à son parti.
Les données d’Abacus pour la province de Québec montrent que le premier ministre est aussi impopulaire dans sa province natale que dans d’autres régions, à l’exception des Prairies, où la colère envers M. Trudeau est particulièrement profonde et généralisée. Au Québec, 30 % des répondants ont une impression très négative du chef libéral, comparativement à seulement 11 % qui en ont une opinion très positive. Considérant l’habitude des Québécois de voter pour le gars du coin, ce n’est pas un bon score du tout. Pourtant, si et quand M. Trudeau démissionne, il laissera un vide dans la province que son successeur devra travailler fort pour combler.
Publicité 3
Contenu de l’article
À l’heure actuelle, les intentions de vote fédérales au Québec placent les libéraux et le Bloc québécois à égalité en tête, avec environ 30 % des intentions de vote, suivis des conservateurs, avec 21 %. L’appui au Bloc n’est certainement pas un vote pour son programme séparatiste. C’est simplement un espace où les Québécois insatisfaits du gouvernement en place « garent » leur vote jusqu’à ce qu’il y ait une alternative satisfaisante. Avec le départ de M. Trudeau, il y a un risque que le Bloc obtienne encore plus de soutien, car les Québécois ne trouvent ni son successeur ni le nouveau chef conservateur à leur goût. Le « parti du stationnement » pourrait même redevenir l’opposition officielle (souvenez-vous de 1993).
Bien qu’on s’attende à ce que quelques personnalités prestigieuses tentent de remplacer le chef actuel, je ne vois personne, actuellement, capable d’exciter les électeurs québécois comme l’a fait Justin Trudeau en 2015. Les populaires Mélanie Joly et François-Philippe Champagne pourraient très bien se présenter , mais le parti ne choisira probablement pas un autre chef québécois francophone pour le moment. Cela laisse, parmi les grands noms, Chrystia Freeland et Mark Carney.
Publicité 4
Contenu de l’article
Les deux sont des candidats très solides, mais reste à savoir s’ils réussiront à charmer les Québécois. Mme Freeland, en particulier, aura du mal à prendre ses distances avec un gouvernement dans lequel elle a joué un rôle aussi important. Les commentateurs ici ont critiqué les dépenses inconsidérées des libéraux; la ministre des finances ne sera guère crédible si elle promet de mettre de l’ordre dans la maison.
Le français de Mme Freeland et de M. Carney est passable et pourrait facilement être amélioré avec un peu de pratique. Pourtant, Freeland ou Carney auront du fil à retordre face au chef du Bloc, l’habile plaideur Yves-François Blanchette, dans un débat télévisé en français.
Que se passe-t-il si le soutien libéral tombe au Québec? Il y a un courant conservateur assez fort dans la province pour que les conservateurs remportent la majorité des sièges ici, ce qui faciliterait beaucoup la formation d’un gouvernement majoritaire. Cependant, cela dépend de qui les conservateurs choisiront comme prochain chef.
Publicité 5
Contenu de l’article
Si, pour une raison ou une autre, les libéraux et/ou les conservateurs ne parviennent pas à proposer une alternative intéressante aux Québécois, plusieurs se tourneront vers le Bloc. Ils y « gareront » leur vote jusqu’à ce que l’un des partis nationaux se ressaisisse.
La mort du Bloc a souvent été annoncée pour voir le parti séparatiste renaître de ses cendres. Sa survie n’est pas bonne pour la démocratie canadienne; dans une fédération comme le Canada, les partis régionaux ne le sont jamais. Comme les citoyens de toutes les régions, les Québécois doivent être à la table où se prennent les décisions. Il s’agit de défendre leurs intérêts, oui, mais aussi de faire les compromis cruciaux qui permettent au pays d’avancer. En votant pour le Bloc, les Québécois expriment leur frustration face aux alternatives qui s’offrent à eux, mais ils refusent aussi de jouer le jeu ; ils choisissent de rester en marge du gouvernement national.
Le départ de Justin Trudeau, lorsqu’il se produira, aura un impact sur toutes les pièces de l’échiquier politique canadien, notamment au Québec. Ici, les partis nationaux seront à nouveau confrontés au défi d’éloigner des centaines de milliers de Québécois du vote confortable et isolationniste du Bloc. L’histoire montre que ce n’est pas une mince affaire.
André Pratte est directeur chez Navigator et bénévole dans l’équipe de Jean Charest pour la direction du Parti conservateur du Canada.