André Pratte : Au Québec, la colère anglo bout, alors que même les libéraux prennent un virage nationaliste

Les anglophones continuent de s’adapter et le Québec continue de déplacer les poteaux de but

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MONTRÉAL — La sénatrice à la retraite et ancienne journaliste Joan Fraser est depuis des décennies l’une des observatrices les plus perspicaces de la politique québécoise. Alors, quand Fraser dit que la population anglophone du Québec est en colère comme jamais auparavant, il faut prendre la situation au sérieux. « Nous nous sentons abandonnés », m’a-t-elle dit cette semaine. « Depuis 50 ans, on nous dit qu’il faut s’adapter aux changements de la société québécoise. Mais on a le sentiment que ce n’est jamais assez, qu’à chaque fois qu’on s’adapte, les poteaux des buts bougent. Cette perception est correcte.

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Les anglophones du Québec ont plusieurs raisons d’être en colère : la tentative du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) d’abolir les commissions scolaires anglophones ; la loi 21 interdisant le port de signes religieux ; le projet de loi 96 qui, entre autres, gèle la croissance des collèges anglais; et le retrait d’une subvention promise pour un nouveau pavillon du Collège Dawson. Directement ou indirectement, chacune de ces mesures est une atteinte à leurs droits fondamentaux. Pourtant, les représentants anglo n’ont pas été consultés et depuis lors, ils crient dans le désert. Personne n’écoute. En fait, personne ne semble s’en soucier.

Même le Parti libéral provincial, autrefois ardent défenseur des droits des minorités au Québec, semble indifférent. Lorsque le projet de loi 96 a été déposé en mai 2021, les libéraux ont exprimé une « attitude constructive et positive » même si le projet de loi incluait l’utilisation étendue de la clause dérogatoire, ce qui signifie que les Québécois désireux de contester la loi ne pourraient le faire sur la base de la loi canadienne. Charte des droits et libertés ou Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

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Pendant près d’un an, la chef libérale, Dominique Anglade, a refusé de dire si son parti voterait pour ou contre le projet de loi en troisième lecture. En février dernier, elle a finalement déclaré que les libéraux voteraient contre… à moins que des changements ne soient apportés. « Leur ‘non’ est discret, comme s’ils ne voulaient pas que les nationalistes le remarquent », déplore Marlene Jennings, présidente du Quebec Community Groups Network et ancienne députée fédérale. « Ils devraient être fiers de dire ‘Non’, ils sont censés être le parti qui défend les droits des minorités. »

Depuis qu’elle est devenue chef il y a deux ans, Anglade et son équipe sont obsédées par l’augmentation du nombre de son parti parmi la majorité francophone, dont seulement 11 % ont déclaré aux sondeurs qu’ils voteraient pour le libéral si des élections avaient lieu aujourd’hui. Sous la direction d’Anglade, le parti a pris une « tournure nationaliste », qui n’a pas réussi à attirer plus de votes français tout en bouleversant sa clientèle traditionnelle d’anglophones et de minorités visibles.

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Ce tournant nationaliste atteint de nouveaux sommets lorsqu’un député libéral du parlement provincial propose un amendement au projet de loi 96 qui obligerait les étudiants des collèges anglophones à suivre trois de leurs cours réguliers en français, un amendement que la CAQ avalise immédiatement. « Les libéraux ont aggravé la facture, déplore Colin Standish, stagiaire en Estrie.

Standish dirige un groupe appelé le Groupe de travail sur la politique linguistique. Le groupe envisage de former un nouveau parti provincial qui défendrait non seulement les droits anglo-saxons, « mais les droits fondamentaux de tous les Québécois », dit Standish. « Nous ne serions pas le parti du West Island de Montréal.

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Tous les anglophones n’apprécient pas cette stratégie. Joan Fraser, pour sa part, se souvient que « nous avons déjà emprunté cette voie ». En 1989, à la suite de l’utilisation de la clause dérogatoire par le premier ministre libéral de l’époque, Robert Bourassa, pour adopter une nouvelle loi linguistique, un groupe d’Anglo-Québécois en colère lance le Parti de l’égalité. Le nouveau parti réussit à faire élire quatre députés à l’Assemblée nationale aux élections de 1989, mais cela n’empêcha pas le gouvernement Bourassa d’être réélu et le Parti de l’égalité sombra rapidement dans les querelles internes et l’insignifiance.

Même si la formation d’un nouveau parti pourrait ne pas être avantageuse, la « discussion sur un nouveau parti pourrait être profitable », concède Fraser. Qui sait, peut-être que les libéraux provinciaux commenceront à remarquer qu’il ne faut pas tenir pour acquis les électeurs anglophones?

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Cependant, pour Anglade, il est sans doute trop tard : la confiance est rompue. Les électeurs anglo-saxons voteront peut-être encore libéral à la fin (la prochaine élection aura lieu le 3 octobre), mais un nombre important votera probablement pour ce nouveau parti, s’il voit le jour. Les autres resteront simplement à la maison.

La colère anglo pourrait avoir des conséquences plus profondes que son impact sur la politique partisane dans la province. Au pire, prévient Fraser, « cela pourrait conduire à un autre exode, en particulier des jeunes anglophones ». De 1970 à 1980, des dizaines de milliers de Québécois anglophones ont quitté la province à la suite de la crise d’Octobre et de l’élection du Parti séparatiste québécois en 1976. Cet exode des cerveaux a eu d’énormes conséquences économiques pour le Québec.

Ensuite, ce sont surtout des anglophones unilingues qui partaient parce qu’ils ne pouvaient pas ou ne voulaient pas s’adapter à la nouvelle réalité française de la province. Aujourd’hui, la plupart des jeunes anglos qui songent à partir sont bilingues. Leur départ serait un autre coup dur économique et culturel pour le Québec. Mais c’est peut-être exactement ce que veulent les nationalistes : que le Québec devienne une société totalement française et uniforme. Quelle tristesse…

André Pratte est directeur chez Navigator ltée. Il est également impliqué dans la campagne à la direction de Jean Charest pour le Parti conservateur fédéral.

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