lundi, février 3, 2025

Ancienne enquêtrice des Cum-Ex : L’État continue d’être dupé selon ses révélations

Anne Brorhilker, ancienne procureure, a enquêté sur l’affaire Cum-Ex, révélant une fraude fiscale massive ayant coûté 12 milliards d’euros à l’État. Les banques exploitaient des failles législatives pour obtenir des remboursements d’impôts injustifiés. Brorhilker dénonce les lacunes de l’administration et l’inefficacité des enquêtes, soulignant que la déréglementation et le manque de ressources favorisent la criminalité financière. Elle appelle à une prise de conscience sur ces enjeux cruciaux pour la société.

Anne Brorhilker a passé une décennie en tant que procureure et responsable des enquêtes dans le cadre du plus grand vol fiscal jamais enregistré : l’affaire Cum-Ex. En exploitant des lacunes dans la législation sur le commerce des actions, les banques ont pu obtenir des remboursements multiples de l’impôt sur les plus-values, bien que celui-ci n’ait été acquitté qu’une seule fois. Les titres étaient achetés avant la date de distribution des dividendes, mais livrés sans ceux-ci. Cette fraude a entraîné une perte d’au moins 12 milliards d’euros pour l’État. Dans des cas similaires, appelés Cum-Cum, des établissements financiers ont également réussi à récupérer des impôts qu’ils n’étaient pas en droit de réclamer : des actions étrangères étaient transférées à des banques allemandes juste avant la distribution de dividendes, leur permettant ainsi d’obtenir des remboursements fiscaux. Ces opérations ont coûté jusqu’à 28,5 milliards d’euros à l’État. Face à la lenteur des enquêtes, Brorhilker a démissionné en avril 2024 et a rejoint le mouvement citoyen Finanzwende. Dans une interview, elle met en lumière un État qui n’a toujours pas tiré les leçons de cette fraude massive et continue d’être exploité par des criminels financiers.

Le Rôle de la Justice Face à la Criminalité Financière

ntv.de : Vous avez été immergée pendant des années dans l’univers des criminels financiers. Après presque un an depuis votre départ du poste de chef enquêtrice Cum-Ex, ressentez-vous des regrets ?

Non, pas du tout. J’ai longuement réfléchi à ma décision. Mon rôle en tant que procureure n’était pas de m’engager politiquement, mais de traiter des affaires de manière individuelle. J’ai réalisé que les structures administratives en Allemagne, surtout dans le domaine de la criminalité économique, étaient défaillantes, ce qui favorisait la criminalité financière. Les conséquences sont dévastatrices pour la société. Je voulais éveiller les consciences sur ces manquements et sur le manque de volonté politique pour y remédier, même si les affaires Cum-Ex et Cum-Cum persistent. Je ne voyais aucune perspective d’amélioration si les choses continuaient ainsi. J’ai donc ressenti le besoin d’alerter le public.

Les Défaillances de l’Administration et de la Réglementation

Quand avez-vous décidé que cela devait cesser ?

Je ne peux pas aborder publiquement les affaires internes des autorités en raison des obligations de confidentialité. Cependant, je peux affirmer que les autorités judiciaires souffrent d’un manque chronique de ressources. À chaque niveau, les discussions portent sur l’utilisation des effectifs limités et sur ce qui peut être mis de côté. Les administrations choisissent souvent les affaires les plus simples, là où elles s’attendent à moins de résistance. À mon sens, les priorités doivent être établies en fonction de critères rationnels : où se produisent les plus grands dommages ? Où la criminalité est-elle la plus visible ? Je pense que le public a le droit d’exiger que l’État s’efforce de récupérer notre argent, plutôt que de choisir les cas les plus simples.

La crise financière a révélé de nombreuses affaires douteuses dans le secteur bancaire, liées à la déréglementation. Pensez-vous que cela a contribué aux fraudes Cum-Ex et Cum-Cum ?

Une déréglementation excessive entraîne de graves conséquences. Elle menace la stabilité du secteur financier, car les banques doivent disposer d’un capital suffisant pour faire face à leurs pertes sans faire peser le fardeau sur la collectivité. Plus gravement encore, cela favorise la criminalité. Comme pour les délits quotidiens, la portée des infractions financières est souvent liée au risque d’être découvert, et moins à la sévérité des peines. L’absence de contrôles créent un environnement propice à la criminalité.

Mais l’Allemagne n’est-elle pas plus affectée par une bureaucratie excessive que par un manque de réglementation ?

Le terme « réduction de la bureaucratie » peut prêter à confusion. Beaucoup imaginent seulement les tracas administratifs liés aux déclarations fiscales. Toutefois, cela cache des enjeux plus complexes. Par exemple, le gouvernement a récemment décidé que les entreprises pouvaient désormais détruire les justificatifs comptables après huit ans au lieu de dix. Cela signifie que de nombreuses affaires de Cum-Cum pourraient rester non découvertes, car les enquêtes n’avancent pas assez vite. Il est crucial d’évaluer attentivement quelles règles sont supprimées, sinon il ne faut pas s’étonner que la criminalité prospère.

Y a-t-il d’autres domaines où la politique pourrait involontairement favoriser la criminalité ?

Un autre exemple est l’obligation mensuelle de déclaration de TVA pour les entrepreneurs. C’était un outil essentiel pour détecter rapidement la fraude à la TVA, permettant d’identifier des entreprises-écrans créées uniquement pour frauder. Cette obligation a été supprimée en 2019, ce qui, à première vue, semble favorable aux entreprises. Cependant, cela a entraîné un délai d’un an pour détecter la fraude, laissant le champ libre aux fraudeurs. Avant cela, la fraude était souvent repérée dès la première déclaration manquante.

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