« Magic Farm » d’Amalia Ulman présente une satire incisive sur des Américains privilégiés perdus en Argentine, explorant leur quête de contenu médiatique. À travers des interactions comiques avec les locaux, le film met en lumière l’ignorance culturelle et l’égoïsme des étrangers. Visuellement innovant, il utilise des techniques audacieuses pour renforcer son message sur l’identité et l’éthique interculturelle. Le personnage d’Elena, à la fois connectée et observatrice, incarne le dilemme de naviguer entre deux mondes.
Exploration de « Magic Farm » : une satire audacieuse
La musique cumbia tisse un lien essentiel dans le deuxième film d’Amalia Ulman, « Magic Farm ». Cette œuvre, empreinte d’une satire à la fois percutante et formelle, dépeint des Américains privilégiés perdus dans une ville rurale argentine éloignée. Un groupe d’étrangers s’engage dans une entreprise médiatique à la manière de Vice, exploitant des récits insolites pour créer un contenu vidéo sensationnel. Leur dernière quête culturelle les mène à Super Carlitos, un chanteur extravagant connu pour ses oreilles de lapin, habitant la ville de San Cristobal. Ignorant le producteur Jeff (Alex Wolff, célèbre pour son rôle dans « Hereditary »), ils découvrent qu’un lieu portant ce nom pourrait se trouver n’importe où en Amérique latine.
Une dynamique intrigante entre les personnages
Utilisant le même humour sec que dans son premier film « El Planeta », Ulman se cast elle-même dans le rôle d’Elena, caméraman et interprète. Son personnage bénéficie d’une touche métatextuelle, puisqu’elle évoque ses racines argentines et son éducation en Espagne, expliquant ainsi son accent. La dynamique se renforce avec Edna (Chloë Sevigny), l’hôte exaspérée, Justin (Joe Apollonio), le technicien du son, et Dave (Simon Rex, en caméo), le partenaire d’Edna, formant un groupe hétéroclite de gringos.
Réalisant qu’ils se sont trompés de San Cristobal, Jeff décide de créer une nouvelle histoire autour d’un culte religieux, s’associant à des villageois comme Popa (Valeria Lois) et sa fille Manchi (Camila del Campo). Ces interactions avec les locaux, peu conscients des véritables intentions des étrangers, donnent lieu à des scènes comiques mémorables, telles que Popa évoquant sa liaison avec une actrice française. Cependant, lorsque les Américains, y compris Elena, se concentrent sur leurs propres problèmes, « Magic Farm » perd parfois en rythme, même pour un film qui s’appuie sur l’inconfort pour générer des rires.
Visuellement, « Magic Farm » se démarque par son approche anarchique. Le directeur de la photographie, Carlos Rigo Bellver, utilise des techniques innovantes, comme monter la caméra sur un chien ou un cheval, créant ainsi une perspective originale. De plus, le film intègre des séquences filmées avec une caméra à 360 degrés, déformant l’image pour accentuer l’arrivée désorientante des visiteurs. Les transitions soigneusement orchestrées par Ulman, Bellver et le monteur Arturo Sosa ajoutent une fluidité intrigante au récit.
Le ton de « Magic Farm » et l’intention artistique d’Ulman rappellent le travail incisif du réalisateur chilien Sebastian Silva, notamment dans des films comme « Crystal Fairy » et « Rotting in the Sun », où il examine également le comportement des gringos en Amérique latine. En réunissant un casting d’acteurs reconnus dans un cadre où ils sont totalement dépaysés, Ulman crée une dissonance fascinante. Les images mémorables, comme celle de Sevigny marchant dans une ville argentine sur fond de cumbia électronique, restent gravées dans les esprits.
Elena, le personnage d’Ulman, incarne une figure connectée à la culture locale, maîtrisant la langue et consciente des subtilités culturelles. Cela se reflète dans l’utilisation de la musique et dans des détails amusants, comme des bannières humoristiques dans les rues. Ulman met en lumière l’ignorance et la complaisance de certains Américains face à la réalité latino-américaine. Le groupe, enfermé dans son égoïsme, néglige les véritables enjeux, comme la problématique des pesticides à San Cristobal, un message astucieusement transmis au public.
Un moment marquant se produit lorsque Jeff commente la prononciation anglaise de Manchi, malgré son propre manque de compétences en espagnol. Les chocs culturels sont traités avec nuance, évitant les stéréotypes, et les personnages argentins émergent souvent comme les plus perspicaces. Les défis quotidiens, comme la recherche d’un signal pour publier en ligne ou l’utilisation de seaux dans les toilettes, illustrent l’écart entre les cultures.
Elena demeure un personnage mystérieux, naviguant entre deux mondes sans s’engager ouvertement. Se sent-elle plus proche des habitants du pays de son enfance ou de ses collègues new-yorkais ? Une version alternative de « Magic Farm » aurait pu explorer davantage ses dilemmes internes. Au lieu de cela, Ulman choisit de présenter Elena comme une observatrice complice, laissant le film révéler sa propre position. « Magic Farm » se présente ainsi comme une réflexion pertinente sur l’identité et l’éthique dans un contexte interculturel.