Sonnette 105
Que mon amour ne soit pas appelé idolâtrie,
Ni mon bien-aimé comme un spectacle d’idoles,
Puisque tous pareillement mes chants et mes louanges soient
À l’un, de l’un, toujours tel, et toujours ainsi.
Gentil est mon amour aujourd’hui, demain gentil,
Toujours constant dans une merveilleuse excellence;
C’est pourquoi mon vers, confiné à la constance,
Une chose exprimant, laisse de côté la différence.
Juste, gentil et vrai est tout mon argument,
Juste, gentil et vrai, variant en d’autres mots ;
Et dans ce changement se dépense mon invention,
Trois thèmes en un, d’une portée merveilleuse.
Juste, bon et vrai ont souvent vécu seuls,
Lesquels trois jusqu’à présent n’ont jamais occupé le siège dans un seul.
Le Sonnet 105 me paraît particulièrement méditatif, exprimé comme si le poète se parlait à lui-même plutôt qu’il ne livrait les belles fioritures et figures de l’adresse de l’amant à sa bien-aimée. Nous ne savons pas qui, si quelqu’un, a déjà dénoncé son amour pour le « belle jeunesse» comme « idolâtrie » : c’est peut-être simplement sa propre autocritique qu’il conteste. Poussé par l’aveu que « tous pareillement mes chants et mes louanges soient / À un, à un, toujours tel, et toujours ainsi », il entreprend d’aller au-delà de cette « constance » verbale et d’enquêter sur les qualités essentielles de l’amour. La répétition aux consonances liturgiques et le rythme de la quatrième ligne (presque à la limite d’une parodie de livre de prières) nous préparent à l’idée d’une trinité de vertus, qui deviendra « tout mon argument » (et, dans le couplet final, peut-être un un peu de vantardise de vertu).
Il a été soutenu que la voix du poème est ironique. C’est possible, mais le verset manque en quelque sorte de l’énergie avalée de l’ironie. La diction n’est pas terne, mais elle s’abstient délibérément d’artifice. Le qualificatif de la ligne 10, « juste, gentil et vrai, variant en d’autres mots », pousse peut-être l’équilibre dans l’autre sens, vers l’ironie (comme le pourrait aussi l’expression « excellence merveilleuse »), mais il est tout aussi plausible qu’il remarque simplement que le poète a une variété de moyens pour exprimer le même sentiment. La triade éthique « juste, gentil et vrai » est clairement énoncée et réitérée sans ostentation : il semble peu de raisons dans de telles circonstances de la déconnecter de la sincérité éthique.
De nombreux commentateurs ont remarqué la relation de la triade avec le concept chrétien de la Sainte Trinité et certains ont lu les mots chargés «idolâtrie» et «idole» comme des signifiants du catholicisme. Une telle confusion a aidé à interdire le catholicisme en tant qu’hérésie à l’époque et représentait généralement une incompréhension délibérée des objectifs de l’iconographie. Shakespeare s’alignerait-il sur un réductionnisme aussi bon marché qu’il montrerait sa loyauté envers la reine protestante ? Et faut-il alors continuer et prendre la Trinité comme l’antithèse de « l’idolâtrie » ? La croyance en la Sainte Trinité ne se limite pas au protestantisme.
Je suis beaucoup plus attiré par l’idée que Shakespeare, malgré le symbolisme de la Trinité, tente une définition de l’amour profane dans Sonnet 105. C’est un projet exploré au milieu des années 1590 dans A Midsummer Night’s Dream. Frank Kermode, dans son livre Shakespeare’s Language, attire l’attention sur la fréquence des mots « dote » et « dotage » dans la pièce. Au sens de la fin du XVIe siècle, aimer quelqu’un était d’être entiché par eux, et le but principal de la pièce est de démontrer que l’amour mature est quelque chose de différent. Comme le dit Helena dans l’Acte 1, Scène 1, « L’amour ne regarde pas avec les yeux, mais avec l’esprit, / Et c’est pourquoi Cupidon ailé est peint aveugle. »
Dans le contexte du désir mal conçu d’Helena pour le Demetrius insensible, Kermode écrit : « L’accent est toujours mis sur l’œil en tant que source d’amour. Ou plutôt de radotage : Helena « raffole, raffole avec dévotion, raffole d’idolâtrie » ». Cette analyse jette une lumière différente sur le plaidoyer du Sonnet 105, « Que mon amour ne soit pas appelé idolâtrie » suggérant que l’idolâtrie n’est pas simplement un culte de statue, supposé ou réel, mais la réduction d’une personne à un objet. La deuxième ligne soutient le thème de la vision superficielle trompeuse dans le verbe final : « Ni mon bien-aimé comme un spectacle d’idoles. »
L’argument de Shakespeare est pour l’amour intelligent. Si, dans ce contexte, « équitable » signifie « juste », la justice, bien édictée, relève de la raison : c’est un concept éminemment réfléchi. La gentillesse, bien que généralement accompagnée de plus de sentiments que d’équité, peut dépendre du contrôle de l’émotion personnelle en faveur de l’empathie avec quelqu’un d’autre. La constance – celle de la vie réelle – pourrait nécessiter la plus grande autodiscipline de toutes. Je pense que Shakespeare essaie de dire qu’il a pensé son amour pour « la belle jeunesse » en ces termes : ce n’est pas une simple excitation, ni une adoration aveugle, ni même, simplement, une poésie « merveilleuse ». C’est une vocation consciencieusement étudiée.