uvres complètes d’Arthur Rimbaud


Tout ce à quoi je peux penser, c’est que l’œuvre de Rimbaud doit vraiment chanter en français. Parce que ce… ce n’est pas bon. Ce n’est pas génial à distance. C’est le délire d’un adolescent qui ne voulait pas grandir, ne voulait pas être responsable. Il insulte sa mère, mais il court toujours chez elle. Il me semble que sa réputation repose en grande partie sur sa biographie choquante et ses lettres. (Bien sûr, je reconnais que le timing est tout dans la littérature ; quand il a écrit, une grande partie de cela a dû également sembler nouvelle et surprenante.)

Remarquez, le fabrication de grandeur sont là, mais au moment où il écrivait (de l’âge de 15 ans à l’âge de 20 ans) il n’avait pas l’expérience pour le remplir. Et il le savait. Son fameux « Je me déprave autant que je peux », son ars poétique est basé sur la collecte de l’expérience dont il savait qu’il avait besoin. Sa consommation d’alcool et de drogues, sa folle aventure avec Verlaine, ses voyages, tout pour explorer sa propre altérité, son inconnu, pour prendre conscience et se cultiver dans le but exprès de savoir et d’écrire pour que d’autres puissent ensuite construire sur ce travail. Mais alors:

La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès! Le monde bouge !… Et pourquoi pas ?
Nous avons des visions des nombres. Nous nous dirigeons vers le Esprit. Ce que je dis est oraculaire et absolument juste. Je comprends… et comme je ne peux m’exprimer qu’en termes païens, je préfère me taire.

-de « Bad Blood » dans Une saison en enfer, 1873

Et juste deux ans plus tard, il a arrêté d’écrire. Le 14 octobre 1875, six jours avant son 21e anniversaire, il écrit à son ami Ernest Delahaye « l’enfer avec » mon métier et mon art «  », lui demandant des informations sur la poursuite d’un diplôme en sciences. La lettre contient son dernier poème connu, sur des soldats qui pètent. Il part ensuite en voyage, puis une vie de commerçant en Afrique. (Et ooh, bonjour le colonialisme.)

Vraiment, je regrette qu’il n’ait pas continué. Peut-être qu’il ne pouvait pas. Peut-être que la vie sauvage faisait partie intégrante de la poésie pour lui et qu’il ne pourrait pas écrire sans elle. J’aurais aimé voir sa poésie quand il serait grand. Quand il avait dû vivre à la sueur de son front et travailler avec les épines et les chardons comme nous le faisons tous, j’aurais aimé voir ce qu’un homme de son impressionnant savoir-faire pouvait faire avec cette sagesse. Mais je ne lui en veux certainement pas de se tourner vers d’autres choses. Je me demande seulement ce qui aurait pu être.

Je n’ai pas de français pour juger la traduction de Paul Schmidt, ou je lirais les originaux bien sûr, mais ses traductions font de très bons vers en anglais. J’ai apprécié son agencement de l’ensemble de l’œuvre en saisons encadrées par une brève note biographique et des lettres; elle a contribué à placer la poésie dans la vie de Rimbaud. J’ai pensé qu’il était incroyablement mesquin de la part de M. Schmidt de suggérer qu’il aurait mieux valu que le poète disparaisse ou meure jeune plutôt que de subir la vie banale des affaires vers laquelle il se tournait. Il y a plus dans la vie que de la poésie, et Rimbaud est mort assez jeune à 37 ans. De ce qu’il a laissé derrière lui, c’est probablement mon préféré (et c’est une œuvre de jeunesse) :

Corbeaux

Seigneur, quand le champ ouvert est froid,
Quand dans les villages battus
L’angélus sans fin meurt-
Au-dessus du monde sombre et affaissé
Que les cieux vides se dévoilent
Vos chers et délicieux corbeaux.

Armada sombre avec des cris durs,
Vos nids sont ballottés par les vents glacials !
Au bord des étangs jaunis,
Sur les routes où s’élèvent des croix en ruine,
Par temps froid et gris et lugubre
Dispersez, planez, plongez ensemble !

En troupeaux au dessus des champs de France
Où gisent les morts d’hier,
Roule à travers le ciel d’hiver;
Rappelez-vous notre héritage noir !
Que le devoir dans ton cri soit entendu,
Oiseau triste, noir, inquiet.

Pourtant dans ce chêne, vous les saints de Dieu,
Se balançant dans le jour mourant,
Laissez les oiseaux siffleurs de mai
Pour ceux qui ont trouvé, dans ce bois
D’où ils ne reviendront plus,
Que toute victoire est vaine.

(vers 1870 ? Pendant la guerre franco-prussienne)



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