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Le lyrisme philosophique de l’espoir désespéré.
Chaque fois que je rencontre le nihilisme et son misérable épigone – l’existentialisme – je recule et lève les yeux au ciel, et c’est un euphémisme. Toutes ces divagations sur l’absurdité de la vie humaine, les réalisations, les rêves et les espoirs, perdus comme nous le sommes dans le vide cosmique d’un univers qui ne va nulle part, etc.
Le lyrisme philosophique de l’espoir désespéré.
Chaque fois que je rencontre le nihilisme et son misérable épigone – l’existentialisme – je recule et lève les yeux au ciel, et c’est un euphémisme. Toutes ces divagations sur l’absurdité de la vie humaine, les réalisations, les rêves et les espoirs, perdus que nous sommes dans le vide cosmique d’un univers qui ne va nulle part etc… beaucoup de temps libre et rien à faire, j’aimerais demander à l’auteur :
« Pourquoi ne vous tuez-vous pas, alors ? Soyez cohérent avec ce que vous dites et tirez-vous dans la tête. Allez. Va te faire foutre. Bon débarras. Et, hé, avant de le faire – pense à tous ces pauvres des diables qui doivent vraiment se battre pour chaque… une… putain de seconde de leur vie. Lavez votre bouche de merde et voyez quel tas de conneries vous avez prêché. Parce que VOTRE vie est inutile, pas celle des autres. VOTRE existence est inutile, et c’est VOTRE affaire, connard, pas celle des autres. »
Hum…!
Cependant, Cioran était l’exception à la règle. Pour la très simple raison que son nihilisme est si désespérément chargé d’espoir qu’il finit par détruire son propre système de l’intérieur, tout en en ayant parfaitement conscience à tout moment.
Et, en plus, son style d’écriture est tout simplement divin. Dès les premières lignes, je me suis retrouvée trop absorbée par la contemplation d’une telle beauté pour me soucier même du contenu réel, et c’est quelque chose, compte tenu de mes préjugés contre le sujet ; à la page 20 J’ai dû arrêter et recommencer pour, vous savez, réaliser que j’aimais vraiment les mots de Cioran ET leur sens.
D’ailleurs, il n’écrivait même pas dans sa langue maternelle. En fait, Cioran était roumain, pas français ; et pourtant ce livre, le premier qu’il écrivit dans sa langue acquise, le place dès sa parution au panthéon de la littérature française (Gallimard, 1949).
Or, le nihilisme est la négation absolue et inconditionnelle de tout accomplissement existentiel de l’humanité ; c’est le produit le plus authentique de la culture européenne après sa longue et épuisée histoire de ravages spirituels et de dissolution matérielle. Après les ascensions et les chutes de tant de Reichs millénaires, à quoi l’homme peut-il encore croire, consciemment ou inconsciemment ? Que reste-t-il à quiconque d’enseigner ou d’apprendre, d’approuver ou de mépriser puisqu’aucun système n’a jamais pu survivre à lui-même, sans parler de ses fidèles ?
Déni donc, d’abord de soi-même. Cependant, si le nihilisme tel que nous en avons appris à le connaître (et, dans mon cas, le détester) ne peut aller plus loin, aboutissant ainsi à une impasse, la vision de Cioran diffère radicalement : la pensée de l’expatrié roumain est bien la l’achèvement et le dépassement d’un tel pessimisme cosmique qui ne mène nulle part. C’est la faille dans le système qui – paradoxalement – lui permet de fonctionner et de faire sens.
Ouais.
Ce qu’il montre dans ces aphorismes intensément poétiques est la solution à une contradiction qu’aucun autre existentialiste/nihiliste n’a jamais été capable de résoudre : pourquoi ne se sont-ils pas suicidés, puisque leurs esprits supérieurs avaient réalisé à quel point la vie est insignifiante – établissant ainsi un bon exemple à suivre pour leurs admirateurs ?
Parce qu’ils étaient trop imbus d’eux-mêmes pour croire à leurs propres conneries, voilà pourquoi.
Au début, Cioran tire la même conclusion : l’abnégation est le seul moyen pour nous d’échapper à l’univers délirant dans lequel nous vivons. . Quand tout le fardeau a été enlevé; quand aucune superstition ni préjugé n’empêche l’homme de voir son vide intérieur et extérieur ; quand il n’y a pas de bruit interférant avec le silence, alors un nettoyage total de soi commence.
L’abnégation n’est plus considérée comme un simple renoncement. Au contraire, c’est une ouverture totale vers l’extérieur, vers un monde nu et libéré des superstructures de notre ego. C’est la capacité de voir la réalité telle qu’elle est : un vide fait d’un potentiel illimité, non terni et indemne, au-delà des frontières des sentiments et de la pensée humains ; jusqu’à ce que la nature, l’histoire et la vie elle-même cessent d’être de simples projections de nous-mêmes.
Il ne fait aucun doute que l’intensité de la prose de Cioran place ses réflexions sur l’histoire humaine et la religion au même niveau que les écrits les plus visionnaires de l’Écriture. La façon dont il gère ses propres contradictions est étonnante, avec un sens étrange de l’affrontement entre les frontières terrestres et les désirs transcendantaux. J’ose dire que Cioran est un Qohelet moderne, le juif dont le livre hantera à jamais le judaïsme ainsi que le christianisme avec son effrayant déni de religiosité (c’est en effet un mystère comment et pourquoi les chanoines hébreux et catholiques ont accepté un travail aussi monstrueux presque sans broncher, prouvant ainsi à quel point tous les esprits monothéistes sont alambiqués). Et, tout comme l’Ecclésiaste l’a fait, le poète/philosophe embrasse désespérément la religion au moment où il commence à la détruire. Dans un monde privé de tout sens, la seule issue mène à l’Improbable – à ce qui est par définition hors de notre portée. Ainsi la foi – en Dieu, l’homme, l’art, la poésie, la beauté – devient la raison ultime pour nous de continuer, précisément parce que ce que nous ne pouvons pas saisir, nous ne pouvons pas le gâcher.
C’est ce qui m’a vraiment surpris : l’honnêteté intellectuelle de Cioran, notamment pour tirer des conclusions qui le mèneraient si loin de ses prémisses, alors que la plupart de ses contemporains n’étaient pas très avides de s’auto-analyser… ou du moins de faire le point sur les failles dans leurs systèmes. Ils préfèrent faire semblant de ne pas les voir, ce qui est nettement plus facile, pour l’auteur comme pour le lecteur.
Une autre chose que j’ai tendance à détester, c’est la façon dont les auteurs modernes sont irrésistiblement attirés par les controverses politiques/idéologiques de leur temps, et donc se dégradent avec leurs œuvres. Eh bien, le domnul Emil Cioran a refusé de prendre part à toute lutte ou engagement : lorsqu’on lui a demandé de prendre clairement position (de gauche) par Albert Camus, il lui a dit d’aller se faire foutre et d’arrêter de le déranger avec ses conneries. Textuellement.
Ah, l’esprit de délicatesse…!
Aaaw, au diable ces divagations. Lisez ce livre juste pour le plaisir de le lire. L’écriture de Cioran est hypnotique et vous allez l’adorer, que vous soyez d’accord avec le contenu philosophique ou non. Après tout, nul besoin d’être un fondamentaliste catholique pour apprécier la Comédie de Dante ou les fresques de Michel-Ange.
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