La réalisatrice française Louise Carrin, qui vit depuis 13 ans à Lausanne, en Suisse, a envie de créer tous les jours, raconte-t-elle Variété. Le cinéma étant un long processus, depuis une dizaine d’années maintenant, elle trouve une égale satisfaction dans la musique. Elle est sur le point de sortir son premier album de rap « Banana Part » sous son alias Lweez. Vendredi, elle était sur la scène du festival de cinéma Visions du Réel, à Nyon, en Suisse, pour présenter son premier long métrage « Big Boy » (« La Cour des grands »). Elle a parlé à Variété sur son travail.
Sélectionné en compétition nationale du festival, ce film émouvant suit Amadou Diallo, un réfugié guinéen, peu après son arrivée, par ses propres moyens, à Lausanne. Son frère est mort sur le chemin de l’exil. Sa sœur, la seule famille qui lui reste, est restée. Amadou a 16 ans et son quotidien se déroule entre le centre pour demandeurs d’asile et les classes d’insertion. Six mois de tournage en 2018 l’ont capturé en s’adaptant à son nouvel environnement, en créant des liens avec ses camarades de classe et même en tombant amoureux de Senawbar, un réfugié afghan.
La « solitude accompagnée », comme Carrin la nomme, est un thème récurrent dans son travail : des personnes dont les sentiments sont décuplés à cause de leur isolement social. Sa signature pourrait aussi être une tendance au « huis clos » – c’est-à-dire à huis clos -, et aux personnages marginalisés, résume-t-elle. Ses « Papillons noirs » (Visions du Réel, 2013) ont été filmés à l’intérieur de la voiture d’un chauffeur de taxi clandestin. Alors que « Venusia », qui lui a valu le prix principal au festival du court métrage d’Oberhausen 2016, a été tourné dans une maison close de luxe à Genève.
Des années de piano, de danse classique et moderne, des parents fans de cinéma français et italien : Carrin a grandi avec l’art. D’autres réalisateurs qui l’ont fortement marquée sont John Cassavetes, Aleksandr Sokurov, Ken Loach, les frères Dardenne, pour n’en citer que quelques-uns. Elle a attrapé son premier appareil photo à 16 ans et ne l’a jamais lâché. Sur ses films, elle dirige tous les plans. Mais elle s’imagine aussi jouer un jour.
A Milan, où elle a été mannequin de 17 à 19 ans, elle a pu tester son aisance devant la caméra lors de tournages de publicités. Après des études à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon, elle obtient un master en réalisation cinématographique à l’École Cantonale d’Art de Lausanne (ECAL).
Aujourd’hui, en plus d’enseigner un cursus audiovisuel au niveau licence, elle dirige une société de production, Les Films du Causse, avec son frère cadet, le réalisateur Jules Carrin.
« Cela faisait longtemps que je voulais faire un film sur la jeunesse, dit-elle. « Quand j’ai rencontré ces jeunes migrants, j’ai été bouleversée de voir que malgré la dureté de leur quotidien, ils étaient encore des adolescents avec toute leur force et leur insouciance. Cependant, comme je n’aime pas faire un film sans avoir la connaissance du terrain, j’ai d’abord postulé dans leur école en tant que professeur de français tout en expliquant mon projet.
Après 18 mois d’enseignement, elle a formé une classe de nouveaux étudiants pour le cinéma, de nationalités différentes, vifs d’esprit et à l’aise avec la caméra, pour rendre l’interaction intéressante.
D’abord timide, Amadou a néanmoins attiré son attention. « Il est très intelligent, drôle, attachant et ne se laisse jamais abattre. Ce fut une très belle rencontre. Il s’est révélé au fil des semaines, jusqu’à devenir la porte d’entrée du film. Aujourd’hui, il travaille à Lausanne comme paysagiste », précise-t-elle.
Le lien de confiance tissé par Carrin avec les protagonistes, grâce à son engagement fort, fait des étincelles à l’écran. Bien qu’elle leur attribue surtout le mérite : « Ce que j’aime tant dans le ‘cinéma du réel’ [real-life cinema] est sa capacité à dépasser la fiction », dit-elle. « En fonction des rushs obtenus et de la créativité des élèves, je réécrivais le scénario tous les soirs pour le lendemain.
Carrin parle vite, va droit au but et décrit ses projets – le prochain portera sur la lutte des soignants dans une unité COVID – avec ce qui ressemble à une volonté de se battre pour la justice. « Je suis une personne très sensible, concède-t-elle, et quand je suis touchée par quelque chose, je ressens le besoin d’en parler publiquement. »
Elle se décrit comme une personne forte d’esprit. « Je pense aussi que j’ai une vision féminine assez forte du monde », ajoute-t-elle. « Parfois, j’ai l’impression que nous, les femmes, avons moins confiance lorsqu’il s’agit de financer un film et qu’il faut taper deux fois plus fort sur la table pour se faire entendre. »