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La toute première phrase suffit à enchanter le lecteur avec sa magie narrative :
Mon nom englobe toute l’humanité naissante, pourtant j’appartiens à une humanité qui se meurt.
Avec ces mots, le personnage principal, Adam, commence son histoire. Adam est un professeur d’histoire qui vit à Paris depuis des décennies. Il reçoit soudain un appel de son « ancien ami » Murad, qui est en train de mourir. Cela le conduit à retourner, pour la première fois depuis tant d’années, dans sa terre natale qu’il a quittée à cause de la guerre. Bien qu’il ressorte clairement de toutes les descriptions que ce pays est le Liban – pays natal de Maluf, l’écrivain évite très habilement de citer des noms de termes géographiques afin de préserver l’universalité du message. Le pays de ce roman peut être n’importe quel pays dévasté par la guerre civile, divisé par la haine religieuse et raciale, les clans, les voleurs, les profiteurs…
Les personnages principaux, un groupe d’amis qui avaient les mêmes idéaux dans leur jeunesse et croyaient en un monde meilleur, s’inspire également des expériences personnelles de l’écrivain. Maluf déclare que même si aucun des personnages de ce livre ne correspond directement à une personne réelle, rien de tout cela n’est entièrement imaginaire non plus. Dans certains des points de vue des personnages, nous pouvons parfois reconnaître les points de vue de l’écrivain lui-même. Ainsi, Maluf a attribué à Adam une phrase qu’il prétend lui-même utiliser pour décrire la déception d’un immigré face à sa patrie dévastée :
Je ne suis allé nulle part, c’est le pays qui est parti.
Dans le personnage principal, nous voyons d’autres similitudes avec l’écrivain. Bien qu’Adam ne soit pas Maluf, Adam vient aussi d’une famille chrétienne et à travers son personnage Maluf parle du problème qui est présent dans plusieurs de ses œuvres. Qu’est-ce que ça fait de toujours se sentir comme un invité (à cause de son nom, de son apparence, de son affiliation, de son accent…), qu’est-ce que ça fait d’être étranger incurable à la fois dans votre pays d’origine et en exil.
Portant tout ce fardeau d’exil et de déception envers son pays et son peuple, Adam écrit sur les sentiments mitigés qui apparaissent lors de cette première visite dans son ancienne patrie depuis la guerre. A travers les notes qu’il a prises, il nous parle d’un groupe d’amis inséparables pendant leurs études, de leurs fantasmes innocents et idéalistes sur un monde meilleur, des rébellions naïves des jeunes, mais aussi de la guerre qui a suivi, et de la façon dont elle les a changés. le tout irrévocablement. La guerre a mis ce groupe d’amis au défi d’un nouveau dilema – que ce soit pour préserver les idéaux, rester fidèles à eux-mêmes et trahir la patrie, partir, fuir quelque part au loin ou rester fidèle à la patrie, aux ancêtres, au foyer familial séculaire et du patrimoine, de prendre les armes et de se battre à tout prix pour ces symboles de leur identité ? Certains ont gardé les mains propres et préservé leurs idéaux mais sont devenus des traîtres à leur pays. D’autres se sont sali les mains, ont trahi leurs idéaux et sont devenus des héros nationaux. Quelle trahison est la plus grande ? Avec quelle trahison chacun de ces personnages a-t-il décidé de vivre ?
Ce serait simple si, sur les chemins de la vie, nous n’avions qu’à choisir entre trahison et fidélité. Bien souvent nous nous trouvons contraints de choisir plutôt entre deux fidélités irréconciliables ; ou, ce qui revient au même, entre deux trahisons.
Murad a fait un choix différent d’Adam et est ainsi devenu un ancien ami. Cependant, la nouvelle de la mort de Murad reconnecte l’ancien groupe d’amis. Dispersés sur quatre continents du monde, aux destins différents, aux regards changés, tous décident quand même de retourner dans la ville de leur jeunesse et de se retrouver après tant d’années. Chacun des destins de ces personnages est différent à sa manière, pourtant il est marqué par un tourment commun. Un pays détruit, une génération privée de ses rêves d’avenir, et toutes les suivantes condamnées à vivre dans la division et la haine mutuelle.
Que vous soyez juif ou arabe, vous n’avez d’autre choix qu’entre la haine des autres et la haine de vous-même. Et si vous avez le malheur d’être né, comme moi, à la fois arabe et juif, alors vous n’existez tout simplement pas, vous n’avez même pas le droit d’avoir existé ; vous n’êtes qu’un malentendu, une confusion, une erreur, une fausse rumeur que l’Histoire s’est déjà engagée à démentir.
Bien que tous ces personnages soient désorientés par cette souffrance commune, Maluf, comme toujours, ne se laisse pas aller au pessimisme. Il décrit tous les problèmes très lucidement, mais il trouve aussi pour chaque personnage une lueur d’espoir et une raison de se battre encore. Et à long terme, peut-être que tous les enfants perdus seront sauvés une fois que leur conscience s’élèvera au-dessus identités mortelles.
En rentrant dans mon pays englouti, j’ai pensé sauver quelques vestiges de mon propre passé et de celui de mon peuple. Sur ce plan, je n’ai plus grand espoir. A vouloir retarder le naufrage, on risque de précipiter l’inévitable… Cela dit, je ne regrette pas d’avoir entrepris ce voyage. Il est vrai que chaque soir je redécouvre pourquoi j’ai quitté ma terre natale ; mais chaque matin je redécouvre aussi la raison pour laquelle je ne l’ai jamais vraiment abandonné. Ma grande joie a été de trouver au milieu des flots quelques îlots de délicatesse levantine, ou de tendresse tranquille. Et cela, du moins pour le moment, m’a donné une nouvelle soif de vivre, de nouvelles raisons de lutter, peut-être même un frémissement d’espoir.
Et sur le long terme ?
À long terme, tous les fils et filles d’Adam et Eve sont des enfants perdus.
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