Le fantôme de Canterville d’Oscar Wilde


5 ⭐⭐⭐⭐⭐ !


Une parodie sophistiquée du Ghost traditionnel merveilleusement juxtaposée à la satire remarquable des valeurs américaines et britanniques ; agrémenté d’un renversement étonnant et ingénieux des rôles qui impose une réflexion profonde sur les thèmes de la vie et de la mort, et imprègne le récit d’une ironie raffinée et d’un paradoxe en concomitance avec l’entrelacement continuel des contraires. L’histoire de « The Canterville Ghost » de Wilde est étrangement obsédante et passionnante !

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Le ministre américain Otis et sa famille, déterminés à acheter Canterville Chase malgré les rumeurs consolidées de surnaturel de nul autre que Lord Canterville lui-même, s’installent dans leur maison nouvellement acquise un beau jour de juillet. Ainsi commence l’exploration intrépide de la famille dans l’histoire mystérieuse de Sir Simon le fantôme, et leurs tentatives tranquilles et nonchalantes pour s’affirmer et affirmer leurs idées (et idéaux) douteuses au sein de la maison. Sir Simon s’est donné pour mission de pousser les habitants de Chase au bord de la folie depuis 1584. Que va-t-il advenir de lui au milieu de la grande, toute-puissante et implacable bande d’Otis ?


La belle illustration de Sara Ganassi de « The Canterville Ghost »

Les éléments des histoires traditionnelles de Ghost abondent, de la caractérisation de l’aura qui annonce des phénomènes « naturels supérieurs », aux réactions spécifiques suscitées par les manifestations d’un autre monde. Les cas récurrents sont les cas où le calme de la nuit est ponctué par un ciel couvert, une « étrange immobilité » dans l’air, « un terrible éclair », un vent déchaîné, « un terrible coup de tonnerre » ou la présence de corbeaux et de corneilles , élisant ainsi le « climat monstrueux » à son rôle proclamé de portail vers le royaume tendu de l’éternellement mystérieux. Les scènes horribles et horribles qui suivent sont illustrées par le mots clés de « horrible » et « terrible », suscitant à son tour des réponses instantanées. Sir Simon, qui avait « disparu soudainement dans des circonstances très mystérieuses » et dont « le corps n’a jamais été découvert, mais son esprit coupable hante toujours le Chase » – après avoir assassiné sa femme capricieuse – s’occupe fièrement d’expositions effusives de ses « grandes réalisations » : il a été l’auteur de nombreux délits, et ses victimes préférées sont connues pour se tirer ou se noyer, s’effrayer dans une crise, souffrir « d’une attaque de fièvre cérébrale » ou devenir « un parfait martyr des troubles nerveux ». On pourrait penser que comme générateur primaire de l’étrange qui a aidé à beaucoup d’évanouissements et de démarrage, Sir Simon serait particulièrement bien versé dans l’expérience de première main du paranormal, et pourtant, dans une réinvention de la règle dantesque du « contrapasso » (« souffrir le contraire »), notre Ghost hautement établi a un avant-goût de sa propre médecine. Face à un « horrible spectre », le narrateur à la troisième personne déclare curieusement que « n’ayant jamais vu de fantôme auparavant, [Sir Simon] était naturellement terriblement effrayé », de sorte qu’à la suite de cet épisode, il se retrouva à maintes reprises « pris de panique », nerveux, ou souffrant d’un grand rhume, les nerfs « complètement brisés ». Multiples et inlassables sont ses tentatives d’expérimenter son répertoire de « remarquables imitations » afin de se venger des Otises inhabituellement peu impressionnables, et pourtant il est humilié, « trompé, déjoué et déjoué ! ».

Quelques questions s’imposent : Pourquoi Wilde orchestre-t-il la défaite du fantôme ? Comment se fait-il que le chevauchement et l’inversion des rôles fassent surgir à la surface d’importantes préoccupations thématiques qui modifient notre perception des valeurs humaines et du surnaturel ?

Revenons à ma référence précédente au fantôme prenant goût à sa propre médecine, dans la mesure où le contenu que cela génère nous amène à la contre-force opérant de manière analogue au ridicule du fantôme. Pourquoi les Otis sont-ils constamment dépeints comme étant si totalement insensibles à « l’existence objective des fantasmes » ? En effet, dès le début de l’histoire, Wilde met un point d’honneur à souligner le « matérialisme grossier », tout à fait conforme à la prise de conscience exprimée par le fantôme selon laquelle « les gens se trouvent manifestement sur un plan d’existence matériel bas, et tout à fait incapables d’apprécier la valeur symbolique des phénomènes sensuels ». La famille Otis, loin de se laisser décourager par les rumeurs de fantômes, fortifier et barricader leur foyer avec l’impénétrabilité de leurs valeurs: « il n’y a pas de fantôme, monsieur, et je suppose que les lois de la nature ne vont pas être suspendues pour l’aristocratie britannique ». Leur confiance globale dans leurs voies est faite pour ne tolérer hyperboliquement aucun « non-sens » du genre comme moyen d’exposer – à leur tour – leurs croyances et leurs principes pour ce qu’eux et leurs croyants sont vraiment : « horribles, grossiers, vulgaires, malhonnêtes », adjectifs appliqués simultanément aux artifices du fantôme.

Le texte est jonché d’allusions qui moquer Valeurs américaines :
1) M. Otis soutient que si des fantômes existaient vraiment, l’un des siens l’aurait sûrement déjà saisi, et il serait exposé dans un musée ou un autre – Lord Canterville répond avec mordant que leur fantôme doit avoir « résisté les ouvertures de [his] imprésarios entreprenants » ;
2) Son fils, Washington, qui serait ainsi nommé « dans un moment de patriotisme, qu’il n’a jamais cessé de regretter », est emblématiquement obsédé par l’élimination de la « tache rouge terne » sur les sols du salon avec le détachant Pinkerton, tandis que le père suggère au fantôme de se servir d’un graisseur pour ses chaînes claquantes et rouillées afin de ne pas troubler le calme pendant la nuit ;
3) Face à la tangibilité du fantôme, « Mrs. Otis a exprimé son intention de rejoindre la Psychical Society, et Washing a préparé une longue lettre à MM. Myers et Podmore au sujet de la permanence des taches de sang lorsqu’elles sont liées au crime.
4) Abondantes références au républicanisme en passant, et leurs deux jeunes garçons comme représentant « les seuls vrais républicains de la famille »

Il est également important de rappeler le commentaire perspicace de Lord Canterville – « nous avons vraiment tout en commun avec l’Amérique de nos jours, sauf, bien sûr, la langue » – que compare symptomatiquement les Britanniques et les Américains, caractérisant ainsi les deux nations comme aveugles par la pure horreur de leurs valeurs. Ainsi contextualisées, tant la satire que la parodie contribuent au déplacement précaire et miroitant des équilibres qui culmine dans l’intervention de la fille Otis.

En effet, la caractéristique gagnante de l’histoire de Wilde est le mouvement digne de la satire et de la parodie à la démonstration de sympathie de Virginia envers le fantôme, et finalement, à l’exposition tendre du pathétique. La famille Otis, à l’exception de Virginia, éteint et prive le fantôme de sa « seule raison d’exister » ; lorsqu’il est finalement contraint par la réalité de ce qui lui arrive de chercher conseil intérieurement, Virginia le découvre dans la salle de la Tapisserie avec l’air « si seul et si malheureux », et « toute son attitude était celle d’une extrême dépression ». Elle vient représenter – en tant qu’élu par une ancienne prophétie – le sauveur du monde qui scellera leur compréhension mutuelle de la vie, de l’amour et de la mort et conduira solennellement Sir Simon au repos éternel, « le jardin de la mort », d’où il est enfin libéré de les contraintes corporelles qui le retenaient secrètement captif dans un coin perdu de la Chase, derrière des lambris sans prétention. « Pauvre monsieur Simon ! Je lui dois beaucoup. Oui, ne riez pas, Cecil, vraiment. Il m’a fait voir ce qu’est la vie, et ce que la mort signifie, et pourquoi l’amour est plus fort que les deux »

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Citations magnifiquement poétiques  :

« La mort doit être si belle[…] N’avoir ni hier, ni demain »
« Sur un pas il a glissé, comme une ombre maléfique, l’obscurité même semblant le détester alors qu’il passait »
« des actes de sang seraient commis, et le meurtre se promènerait avec des pieds silencieux »


Anecdotes amusantes ? :

« il n’y avait pas un homme plus fier dans toute l’Angleterre de long en large » fait écho aux paroles d’Ellen à propos de l’union réparatrice de Young Cathy et Hareton en Les Hauts de Hurlevent: « il n’y aura pas de femme plus heureuse que moi en Angleterre ! » ❤️



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