La Suisse s’engage à promouvoir l’égalité des chances pour tous, définie comme la possibilité pour chacun d’atteindre son potentiel indépendamment de ses origines. L’évaluation de cette égalité passe par l’analyse de la mobilité sociale, en tenant compte non seulement de l’influence des parents, mais aussi des frères et sœurs. Les recherches montrent que seulement 15 % des écarts de revenus sont attribuables à l’environnement familial, suggérant une bonne perméabilité sociale. De plus, des facteurs comme la nationalité et le lieu de résidence n’affectent que marginalement cette influence.
La Suisse, à travers sa Constitution, a pris l’engagement de favoriser l’égalité des chances pour tous ses citoyens. Mais qu’entend-on exactement par égalité des chances et comment peut-on l’évaluer ?
Équité des chances signifie que chaque individu a le droit et la possibilité d’exploiter son plein potentiel, peu importe ses origines. En d’autres termes, le succès devrait résulter de l’effort et du talent, plutôt que de ressources ou de connexions héritées. Pour évaluer l’égalité des chances dans une société, on se penche sur la mobilité sociale, qui révèle l’impact du milieu familial sur la réussite personnelle.
L’influence des frères et sœurs
La plupart des recherches sur la mobilité sociale examinent la relation entre parents et enfants. Un lien fort entre ces deux générations indique que la société manque de perméabilité, suggérant que le succès personnel est largement conditionné par l’environnement familial. À l’inverse, un lien faible indique une plus grande perméabilité sociale.
Pour mieux comprendre l’influence globale de l’environnement familial sur la réussite individuelle, il est pertinent d’analyser également les relations entre frères et sœurs, en plus des dynamiques parents-enfants. Cette approche enrichit notre compréhension de l’impact familial. Les frères et sœurs partagent non seulement des parents et des ressources financières, mais aussi le quartier où ils grandissent, l’école qu’ils fréquentent, des réseaux sociaux communs, et bien plus encore – en somme, tous les éléments pouvant être considérés comme des influences familiales au sens large.
Une comparaison des études sur les frères et sœurs en Suisse avec celles d’autres pays révèle que l’influence familiale y est relativement faible. En fait, seulement 15 % des écarts de revenus peuvent être attribués au milieu familial.
En d’autres termes, 85 % des revenus personnels sont déterminés par des facteurs externes, en dehors de la famille, tels que les compétences personnelles, l’engagement individuel et aussi une part de chance. À titre de comparaison, en Allemagne, l’effet familial représente 43 %, aux États-Unis, 49 %, et même au Danemark, considéré comme très perméable, cet effet est de 20 %. Ces chiffres témoignent d’une bonne perméabilité sociale en Suisse.
Le rôle de la nationalité dans l’égalité des chances
En plus d’analyser l’influence familiale, il est essentiel d’identifier les éléments qui peuvent favoriser ou freiner la mobilité sociale. Des recherches ont démontré que le système éducatif dual et le soutien précoce peuvent renforcer cette perméabilité sociale.
Cependant, il demeure incertain quels facteurs sont à l’origine des 15 % restants de l’influence familiale. L’économiste américain Gary Solon a qualifié, à la fin des années 1990, ces causes d’« énigme » à résoudre. Avec Jonas Bühler et Christoph Schaltegger, j’ai entrepris une étude pour percer ce mystère au sein de la société suisse.
Plus précisément, nous avons cherché à déterminer quelle part de l’influence familiale pouvait être attribuée au revenu des parents, à la nationalité, au lieu de résidence ou à l’état civil des parents – ces éléments considérés comme des déterminants clés.
Si une grande part de l’influence familiale provenait de ces facteurs, cela nuirait à l’image d’une Suisse équitable en matière d’égalité des chances. Par exemple, si la nationalité d’une famille était un déterminant majeur du succès de ses membres, cela indiquerait une inégalité manifeste des chances.
Cependant, notre analyse révèle que ces facteurs expliquent ensemble moins de 10 % de l’effet familial. Cela signifie que plus de 90 % de l’influence familiale ne sont pas déterminés par les éléments souvent évoqués comme déterminants.
Cette découverte est cruciale pour évaluer l’équité des chances en Suisse. L’influence familiale est non seulement relativement faible, mais elle est également peu affectée par des facteurs discriminatoires. Il semble donc qu’il n’existe pas de recette simple pour réussir en famille – une bonne nouvelle pour l’égalité des chances !
Melanie Häner-Müller dirige le département de politique sociale à l’Institut de politique économique suisse (IWP) à l’Université de Lucerne.
Un article de la « NZZ am Sonntag »