vendredi, janvier 17, 2025

L’Axpo accusée de malversations comptables : des milliards mal enregistrés selon deux experts

Christoph Brand, PDG d’Axpo, a reçu un bonus de 649 000 francs, portant son salaire total à plus d’un million et demi pour l’année précédente. Cette décision a provoqué des critiques face aux résultats financiers d’Axpo, dont les bénéfices avant impôts dépassent 1,8 milliard de francs. Des experts remettent en question la transparence des pratiques comptables d’Axpo, notamment concernant des pertes dissimulées, alors que la société défend ses méthodes face aux allégations de spéculation.

Le montant de 649 000 francs représente le bonus attribué à Christoph Brand, le PDG d’Axpo, pour l’année précédente. Ce qui porte son salaire total à plus d’un million et demi de francs pour l’exercice écoulé.

Cet enjeu a récemment suscité de vives réactions de la part des acteurs politiques et du grand public. La direction d’Axpo a défendu ces primes en se basant sur la solide performance économique de la société : Axpo a enregistré un bénéfice avant impôts de plus de 1,8 milliard de francs, marquant ainsi le deuxième meilleur résultat opérationnel de son histoire.

Cependant, une nouvelle analyse remet en question la légitimité de ces bénéfices d’exploitation et, par conséquent, des primes attribuées.

Débat sur la comptabilité commerciale

Les entreprises du secteur énergétique, comme Axpo, ne se contentent pas de produire de l’électricité, elles s’y engagent également dans le commerce. Pour sécuriser leur production, elles utilisent souvent des instruments dérivés, tels que des contrats à terme. Cela signifie que les traders déterminent à l’avance la quantité d’électricité qu’ils achèteront à un moment donné et à un prix précis. Lors de la livraison, ils peuvent alors vendre cette électricité au tarif du marché. Si le prix du marché est supérieur au prix fixé dans le contrat à terme, cela engendre un profit pour l’entreprise ; dans le cas contraire, une perte. Certains critiques qualifient cette pratique de spéculation sur les prix de l’électricité, tandis que les traders évoquent plutôt une stratégie de couverture, leur permettant de maintenir une certaine prévisibilité dans leur production.

Cependant, il existe un désaccord concernant la manière dont Axpo doit enregistrer les résultats de cette couverture.

D’après les analyses de Karl Frauendorfer, professeur en gestion et recherche opérationnelle à l’Université de Saint-Gall, et de Robert Gutsche, professeur de comptabilité à la Haute École spécialisée de Berne, les marges brutes de l’ensemble des activités commerciales d’Axpo pour la période de 2017/18 à 2023/24 n’auraient pas dû atteindre 9 milliards de francs, mais seulement la moitié de ce montant. Ce décalage est attribué à un manque de transparence dans la comptabilisation de certaines pertes de couverture dans les comptes consolidés d’Axpo.

La division commerciale d’Axpo est connue sous le nom d’Axpo Solutions. En tant que filiale entièrement détenue, elle n’est pas tenue de publier ses propres états financiers, ce qui a permis à Axpo de décaler des pertes commerciales s’élevant à 4,493 milliards de francs hors du périmètre de contrôle de l’auditeur depuis 2017, puisque celui-ci n’examine que le résultat consolidé.

Si ces pertes avaient été intégrées au sein du groupe, cela aurait également conduit à des bénéfices d’exploitation réduits, entraînant des paiements d’impôts et de dividendes moins élevés. Cela aurait également diminué les justifications dont disposait le conseil d’administration pour les primes attribuées à la direction d’Axpo au cours des dernières années.

Une critique persistante envers Axpo

Ce n’est pas la première fois que Karl Frauendorfer et Robert Gutsche remettent en question les normes comptables d’Axpo. Ils ont publié plusieurs études depuis 2018, dénonçant les risques excessifs que le groupe prend dans le domaine commercial.

Leur dernière étude arrive à un moment crucial, alors que la commission de l’énergie du Conseil national à Berne analyse une loi fédérale sur la régulation et la transparence dans les marchés de gros de l’énergie. Ce revirement a été provoqué par la crise énergétique, durant laquelle Axpo a rencontré des difficultés de liquidité et a dû solliciter un soutien gouvernemental en septembre 2022. Néanmoins, Axpo n’a finalement pas eu besoin d’utiliser le cadre de crédit de 4 milliards de francs.

Pour éviter de futurs scénarios similaires, les entreprises d’électricité devront désormais fournir des informations détaillées concernant leurs transactions et leurs opérations commerciales à l’autorité de supervision Elcom.

Réponses d’Axpo et rapport d’audit externe

Axpo rejette fermement les accusations portées contre elle. « La méthodologie et les résultats du professeur Frauendorfer sont incompréhensibles pour l’ensemble du secteur depuis longtemps », affirme le porte-parole Martin Stucki. Selon lui, Frauendorfer utilise des modèles de calcul inappropriés, applique des indicateurs mal adaptés et part de projections de revenus irréalistes. Ce même raisonnement se retrouve dans le dernier document de Frauendorfer, fondé sur des processus obsolètes.

Axpo s’appuie sur un rapport externe réalisé par un groupe de recherche sous la direction du professeur de finance Thorsten Hens de l’Université de Zurich, qui a examiné les allégations de comptabilité incorrecte en 2023. Les auteurs de ce rapport relèvent que les conclusions de Frauendorfer et Gutsche sont factuellement inexactes. Le rapport souligne que la comptabilité d’Axpo respecte les normes en vigueur. De plus, l’entreprise fait référence à un audit de gestion effectué par la société de conseil Deloitte en 2023, qui n’a révélé aucune anomalie substantielle dans les opérations d’Axpo.

Martin Stucki précise qu’Axpo, tout comme d’autres entreprises du secteur, a déjà tenté à de nombreuses reprises d’engager un dialogue constructif avec le monde académique. « Nous sommes ouverts à une nouvelle table ronde », déclare-t-il.

Malgré les critiques concernant leur approche, Karl Frauendorfer et Robert Gutsche maintiennent leur position. Ils émettent des réserves sur le rapport d’audit de Deloitte, arguant que seules des questions spécifiques posées par l’assemblée générale d’Axpo ont été abordées. Les deux économistes estiment que l’audit manque de rigueur et espèrent que l’autorité de surveillance examinera Axpo de manière plus approfondie à l’avenir.

Pour l’heure, la direction d’Axpo doit composer avec des actionnaires mécontents. Lors de l’assemblée générale prévue ce vendredi, le gouvernement argovien proposera que, à…

- Advertisement -

Latest