La situation en Syrie est marquée par une escalade des tensions et une vulnérabilité croissante du régime d’Assad. Des groupes rebelles, notamment Hayat Tahrir al-Sham et l’Armée nationale syrienne, profitent de cette faiblesse pour reprendre des territoires. L’engagement de la Russie en Ukraine et les défis rencontrés par l’Iran affaiblissent également les soutiens d’Assad. Une révolte nationale pourrait émerger si le mécontentement populaire perdure, tandis que le rôle de la Turquie pourrait influencer cette dynamique.
La montée des tensions en Syrie est en grande partie attribuable à la vulnérabilité du président Assad, selon l’expert en Moyen-Orient, André Bank. Pour la première fois depuis plusieurs années, un soulèvement généralisé contre le régime pourrait émerger.
Interviewer : La situation en Syrie semble s’être détériorée récemment. À quel point est-ce alarmant ?
André Bank : Ce que nous observons actuellement représente une nouvelle escalade de la violence, une situation que nous n’avions pas connue depuis plusieurs années. C’est la première fois depuis 2020 que les rebelles parviennent à reprendre des territoires significatifs dans le nord, qui étaient sous le contrôle d’Assad.
Nous assistons à une alliance inédite entre deux groupes rebelles très différents : d’un côté, le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS), anciennement lié à Al-Qaïda et souvent classé comme terroriste dans de nombreux pays occidentaux ; de l’autre, l’Armée nationale syrienne (SNA), proche de la Turquie. Ils exploitent une période de faiblesse d’Assad et de ses alliés pour lancer cette offensive.
Interviewer : Abordons cette notion de faiblesse. La Russie, soutien d’Assad, est actuellement très engagée en Ukraine. Les rebelles avaient-ils prévu cela, ou d’autres facteurs jouent-ils un rôle ?
Bank : Le moment est crucial, car les rebelles profitent indéniablement d’une période de vulnérabilité de leurs adversaires. La Russie est fortement mobilisée en Ukraine, tandis que l’Iran fait face à des défis, notamment des attaques israéliennes ciblant des forces iraniennes comme le Hezbollah libanais, qui avait été crucial lors de la bataille d’Alep en 2016. Tous ces soutiens sont affaiblis, en partie à cause de la guerre au Liban et des frappes en Syrie. Cela a été habilement exploité par les rebelles.
Des rumeurs entouraient déjà une offensive prévue pour octobre, mais elle n’a eu lieu que récemment, et cet effet de surprise a joué en faveur des rebelles.
La position d’Assad est également considérablement affaiblie. L’idée de l’invincibilité du régime s’estompe depuis un certain temps, et surtout, la situation économique dans les zones contrôlées par Assad est à son plus bas depuis 2011, ce qui contribue à ce contexte délicat.
Réactions des soutiens : un facteur clé
Interviewer : Sous le régime d’Assad, la Syrie a traversé des périodes sombres. Cela signifie-t-il que la situation pourrait s’améliorer sans lui ? Quelle est votre vision pour l’avenir de la Syrie ?
Bank : Si les rebelles parviennent à maintenir leur contrôle sur Alep et la route stratégique reliant Damas à Alep, cela pourrait avoir de graves conséquences pour le régime. De plus, dans le sud, à Daraa, des soulèvements se préparent à nouveau contre Assad. Si le mécontentement populaire envers le régime persiste, un mouvement de révolte à l’échelle nationale devient envisageable, plaçant Assad dans une position précaire.
La réaction des alliés d’Assad, principalement la Russie et l’Iran, sera également déterminante. Comme je l’ai mentionné, ils sont sous pression. Nous pourrions assister à une phase d’instabilité accrue, avec des souffrances supplémentaires pour la population. Cependant, pour la première fois depuis longtemps, une opportunité militaire pourrait se dessiner, menaçant potentiellement le pouvoir d’Assad de l’intérieur.
Interviewer : Quelles conditions seraient nécessaires pour unifier le pays ?
Bank : Il serait essentiel que les forces en Syrie qui envisagent un avenir commun pour le pays, plutôt que de se concentrer uniquement sur leurs propres intérêts, se renforcent et collaborent. Je ne parle pas nécessairement de HTS, mais plutôt de mouvements civils rebelles présents dans le sud et certaines parties de la Syrie centrale, ainsi que de forces kurdes modérées dans le nord-est, qui pourraient envisager une coopération pour un avenir syrien meilleur.
Bien que les chances de succès à court terme semblent minces, cette déstabilisation pourrait ouvrir une petite fenêtre d’opportunité pour un avenir meilleur à moyen terme.
Le rôle de la Turquie : une pression potentielle
Interviewer : Dans ce contexte, quel rôle la Turquie pourrait-elle jouer ?
Bank : La Turquie a tenté, en deux étapes, de relancer une normalisation avec Assad, similaire aux initiatives de la Ligue arabe. Assad a rejeté cette offre, exigeant le retrait des troupes turques du nord de la Syrie. Néanmoins, la Turquie pourrait exercer une pression sur Assad, surtout que la SNA, qui lui est proche, collabore étroitement avec HTS.
Pour Erdogan, les objectifs en Syrie sont doubles : d’une part, affaiblir l’influence kurde et, d’autre part, favoriser le retour des plus de trois millions de Syriens vivant en Turquie. Ces objectifs, du point de vue européen, ne favorisent ni la déstabilisation ni l’apaisement. Ainsi, bien que la Turquie joue un rôle crucial, ce n’est pas sans ses complexités.
Cette discussion a été menée par Romy Hiller. Le texte a été légèrement abrégé et édité pour la version écrite.