dimanche, novembre 24, 2024

Conflits liés à l’eau : Les raisons du retrait de Nestlé de ses ambitions aquatiques

Nestlé, après avoir acquis Perrier en 1992, envisage désormais une séparation de ses activités liées à l’eau, jugées moins rentables. Malgré un engouement initial pour l’eau minérale, la perception publique a évolué, accentuée par des controverses sur l’exploitation des ressources et des problèmes de contamination. La société fait face à une concurrence accrue, notamment de la part de marques distributeurs, et doit réorganiser son activité pour rester compétitive sur le marché, où l’eau du robinet gagne en popularité.

Peut-être que Nestlé aurait dû laisser Perrier entre les mains de Gianni Agnelli. Le célèbre dirigeant de Fiat avait manifesté son intérêt pour la marque française d’eau minérale en 1991, mais il a perdu une âpre bataille d’acquisition face au géant suisse.

Deux ans plus tôt, sous la direction d’Helmut Maucher, Nestlé avait désigné l’eau comme un axe stratégique majeur. À cette époque, le marché de l’eau minérale était en plein essor, s’inscrivant parfaitement dans la volonté de l’entreprise de diversifier son offre avec des produits plus sains.

Déjà impliqué avec la marque Vittel, Nestlé ne pouvait se permettre de laisser échapper Perrier, alors le leader mondial des eaux minérales. L’acquisition propulsa Nestlé au rang de leader du marché, et d’autres acquisitions suivirent, rendant le nom du groupe indissociable du secteur de l’eau.

Cependant, la situation a évolué, et une séparation semble désormais envisageable. Lors de la récente journée des investisseurs, le nouveau PDG Laurent Freixe a mentionné la création d’une unité distincte pour les activités liées à l’eau, rendant celles-ci potentiellement attrayantes pour une future coopération. Une vente est donc sur la table.

Une perception altérée

Il est indéniable que l’eau chez Nestlé n’est pas tombée en désuétude du jour au lendemain. Pourtant, l’évolution de la situation est frappante. Le public a tendance à attribuer une importance bien plus grande à l’activité eau qu’elle n’en a réellement pour l’entreprise.

Cette perception déformée a été accentuée depuis la vente de plusieurs marques d’eau en Amérique du Nord en 2021, permettant à Nestlé de réduire sa dépendance à un secteur à faible rentabilité. Le chiffre d’affaires de cette division a été divisé par deux, et aujourd’hui, l’eau ne représente qu’environ trois milliards de francs, soit seulement 3,5 % des revenus globaux du groupe.

Le rôle de l’eau dans le débat public autour de Nestlé est d’autant plus significatif qu’il s’agit d’un produit naturel, chargé d’émotion. Les autres produits, comme les cubes Maggi ou les pizzas surgelées, suscitent moins de controverses.

Des accusations ont été levées contre l’entreprise, lui reprochant d’extraire de l’eau des nappes phréatiques, ravivant ainsi une image d’ennemi public, semblable à celle qu’elle avait connue lors du scandale du lait pour bébé. Le documentaire « Bottled Life » de 2012 a mis en lumière les enjeux liés à l’eau, attirant l’attention des médias sur les pratiques de l’entreprise.

Les déclarations de l’ancien PDG, Peter Brabeck, sur le gaspillage d’eau mondial n’ont pas aidé à apaiser les tensions, tout comme son affirmation selon laquelle l’activité eau de Nestlé ne représente qu’une infime portion de l’approvisionnement mondial en eau.

Des manifestations contre les installations d’embouteillage ont eu lieu non seulement dans les pays en développement, mais également aux États-Unis et en France, notamment à Vittel, où se trouve la source de l’eau éponyme.

Problèmes de contamination

En plus des préoccupations concernant les eaux souterraines, des problèmes de contamination ont surgi. Lorsque Nestlé a acquis Perrier, la société faisait encore face aux conséquences d’une crise liée à la présence de benzène dans ses bouteilles d’eau.

Ce problème de contamination reste une source d’inquiétude pour le groupe aujourd’hui. Récemment, Nestlé a été condamné en France pour avoir utilisé des techniques de purification interdites, telles que la lumière ultraviolette et des filtres à charbon actif. Ces méthodes ne sont pas conformes aux exigences des eaux minérales, qui doivent rester naturellement pures.

Pour Nestlé, ces incidents nuisent à son image et découragent les investisseurs soucieux de durabilité, tout comme les préoccupations liées aux déchets plastiques. Le désintérêt croissant de la direction pour l’activité eau est principalement dû à des marges bénéficiaires nettement inférieures à celles d’autres secteurs, comme les aliments pour animaux ou le café, et les marques distributeurs d’eau gagnent en popularité dans les supermarchés.

Eau du robinet : un défi pour la gastronomie

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les entreprises d’eau minérale ne réalisent pas des bénéfices astronomiques, même si le prix d’un litre d’eau en restaurant peut atteindre 12 francs ou plus. En réalité, le restaurateur achète la bouteille, selon la marque et la quantité, pour environ 1,50 franc, ne laissant qu’une petite part de ce prix au fabricant.

« L’eau minérale est essentielle pour les restaurants », déclare Maurus Ebneter, président de l’association des restaurateurs de Bâle-Ville. Grâce à la marge sur les boissons, les restaurateurs peuvent proposer des prix plus compétitifs pour leurs menus, mais cela pourrait être compromis si les clients optent pour de l’eau du robinet gratuite, une tendance qui ne plaît pas aux entreprises d’eau minérale.

La logistique de l’eau est également complexe et distincte des autres produits, semblable à l’activité glace de Nestlé, qui a déjà été transférée à une coentreprise avec un investisseur financier.

Avant que le groupe ne puisse se désengager complètement de son activité eau, celle-ci devra être réorganisée. Muriel Lienau, ancienne responsable de Nestlé France, a été chargée de cette mission. Elle est déjà bien informée des enjeux liés à Vittel et Perrier ainsi que des problèmes de purification.

Sa priorité sera de s’assurer que les eaux minérales de Nestlé restent compétitives face à la concurrence, qui se renforce constamment. Par exemple, le discounter Lidl a récemment choisi de ne pas renouveler son contrat avec Vittel en Allemagne, ce qui a ouvert la voie à des concurrents comme Danone.

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