Le 30 octobre, à Zurich, deux responsables de l’Ofac ont abordé les sanctions américaines lors d’une conférence. En parallèle, des avocats suisses ont été sanctionnés pour avoir caché des fonds russes, soulignant l’impact dévastateur des mesures américaines sur les entreprises non américaines. Les banques suisses, craignant des répercussions, appliquent strictement ces sanctions, entraînant des conséquences financières dramatiques pour les professionnels concernés, comme Baumgartner et Delcò, dont les carrières sont menacées.
En regardant en arrière, il est évident que les deux Américains avaient tout orchestré lorsqu’ils sont arrivés à Zurich le 30 octobre pour s’adresser à une assemblée composée de juristes spécialisés dans le secteur bancaire.
Invités par l’Institut européen de l’Université de Zurich, Michael Lieberman, sous-directeur du Bureau de contrôle des avoirs étrangers (Ofac), et Jason Prince, ancien directeur juridique de cet organisme, ont pris la parole.
L’Ofac est reconnu comme l’autorité de sanctions la plus influente au monde.
Lors de leur conférence au restaurant Metropol, située près de la Paradeplatz, sur le thème « Sanctions secondaires et leurs conséquences sur les entreprises non américaines », un événement inattendu s’est produit. Des notifications ont commencé à affluer sur les téléphones des participants. « Des avocats suisses sous le coup de sanctions américaines pour avoir dissimulé des fonds russes illicites », rapportait Bloomberg. Ces avocats sont désormais sur la liste noire de l’Ofac.
Bien que le timing puisse sembler fortuit, il a parfaitement frappé l’assemblée. Tous les présents comprennent que pour les avocats zurichois concernés, cette nouvelle est synonyme de désastre. Qu’il s’agisse d’entreprises ou d’individus, ceux qui se retrouvent sur la liste des sanctions du département du Trésor américain sont confrontés à une ruine financière inévitable.
Une arme inéluctable pour faire pression
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine en février 2022, le gouvernement américain a intensifié ses actions contre tous ceux qui, à ses yeux, soutiennent le régime de Moscou, y compris les banques et avocats suisses.
Pour forcer le secteur financier à se plier à leurs exigences, les Américains s’appuient sur une arme redoutable : le dollar. Les banques, avocats ou particuliers qui ne respectent pas les sanctions américaines risquent d’être exclus des transactions en dollars.
Concrètement, cela signifie une exclusion du système de paiement mondial, car sans dollar, les affaires ne peuvent fonctionner. Pour les entreprises frappées par des sanctions, cela se traduit souvent par la faillite, tandis que pour les particuliers, c’est une menace existentielle.
Pour éviter d’attirer l’attention des autorités américaines, les banques suisses appliquent donc sans relâche les sanctions imposées par les États-Unis. Elles bloquent les comptes bancaires et annulent les cartes de crédit des clients concernés, même si ces derniers ne figurent sur aucune liste officielle de sanctions en Suisse.
Les clients impactés se retrouvent incapables de régler leurs factures, poursuivis en justice, et isolés économiquement. Les experts évoquent une « peine de mort financière ». Même la Postfinance, qui a un mandat de service public en Suisse, s’efforce de se séparer de tels clients.
Cette situation soulève des critiques quant à la souveraineté de la Suisse : les États-Unis semblent imposer leur législation au pays et à son secteur financier. Avec leur attitude menaçante, ils sapent l’état de droit des nations alliées qui devraient théoriquement se ranger du même côté dans le conflit en Ukraine. Pendant ce temps, les autorités suisses semblent se plier aux exigences américaines.
Cependant, certains avancent que la perte de souveraineté est un sacrifice acceptable face à la souffrance du peuple ukrainien, d’autant plus que la Suisse ne peut se considérer comme une entité isolée.
Deux avocats face à la dévastation de leur carrière
Les avocats Andres Baumgartner et Fabio Delcò font actuellement l’expérience directe des conséquences d’être frappés par les sanctions américaines, leurs noms figurant sur la liste des sanctions depuis le 30 octobre.
Ils ont conseillé des clients russophones dans leur cabinet d’avocats au cœur de Zurich pendant des décennies. Leur notoriété a explosé lors de l’affaire des Panama Papers en 2016, lorsque le « Guardian » a allégué que leur cabinet avait aidé un violoncelliste russe à dissimuler des millions de Vladimir Poutine dans des structures offshore.
Baumgartner et Delcò réfutent ces accusations, tout comme celles de l’Ofac les soupçonnant d’avoir facilité le contournement des sanctions américaines par des Russes sanctionnés. « Nous sommes punis pour avoir conseillé des clients russes », souligne Baumgartner. « Nous n’avons jamais fait l’objet d’une enquête pénale ou disciplinaire, ni en Suisse ni aux États-Unis. »
Malgré leurs dénégations, le sort de leur cabinet, qui emploie dix-huit personnes, semble scellé. Les banques ont gelé leurs comptes, tout comme ceux de nombreux clients pour lesquels ils détenaient des procurations. « Nous cherchons à réduire nos opérations de manière ordonnée », ajoute Baumgartner, en espérant pouvoir régler les salaires, le loyer et d’autres factures. Ils dépendent entièrement de la coopération des banques, car une action en justice contre celles-ci pourrait s’étendre sur des années.
La frustration des avocats est immense. Baumgartner déclare que les autorités américaines ne cherchent pas seulement à faire appliquer les sanctions, mais à renforcer leur propre place financière tout en affaiblissant celle de la Suisse. Les banques locales jouent le rôle d’exécutants des États-Unis, ce qui érode la confiance dans le système financier suisse et dans son système judiciaire.
Un combat pour le pouvoir dans la politique économique
Les avocats frappés par des sanctions ne sont pas seuls dans leur analyse. Le professeur de droit pénal à l’Université de Fribourg, Marcel Niggli, partage également cet avis, qualifiant la situation de lutte de pouvoir économique orchestrée depuis Washington. Autrefois, les États-Unis justifiaient leurs interventions internationales par la lutte contre le trafic de drogue et la corruption ; aujourd’hui, c’est la lutte contre la Russie qui motive ces actions. « Pour eux, l’objectif ultime est de contrôler les marchés financiers mondiaux », conclut-il.
Dans ce contexte, les petits États tels que la Suisse se retrouvent particulièrement vulnérables, contraints de céder aux pressions extérieures.